Au cœur d’un contexte de transformation du cadre énergétique et de baisse des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque, les modèles d’autoconsommation individuelle (ACI) et collective (ACC) émergent comme des solutions clés pour les acteurs publics. Mais quels montages juridiques permettent d’y accéder en toute sécurité ? Alice Folscheid, Responsable juridique chez Faradae analyse les solutions à disposition pour allier transition énergétique et conformité réglementaire.
Quels sont les montages juridiques adaptés aux acteurs publics pour bénéficier du tiers-investissement sur une installation PV en autoconsommation ?
Face à la baisse continuelle du tarif d’achat réglementé d’électricité pour les centrales de 36 à 500 kWc, le modèle d’ACI ou d’ACC avec tiers-financement (1) représente une opportunité majeure pour la transition énergétique car il permet de répondre, sans investissement, aux obligations de la loi APER et du Décret Tertiaire notamment. Ainsi, l’arrêté S21 publié le 27 mars 2025 prévoit une baisse d’environ 10 % des tarifs de rachat de l’énergie photovoltaïque produite pour les installations entre 100 kWc et 500 kWc. Cela confirme la tendance du régulateur à vouloir promouvoir l’autoconsommation, dont le modèle de production photovoltaïque est moins dépendant des subsides de l’Etat. L’énergie en ACI est consommée directement sur le site de production et induit une économie importante de taxes : exonération du droit d’accise et de la majorité des composantes du Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité (TURPE).
Quant à l’ACC, il s’agit d’un montage par lequel l’électricité produite par les équipements photovoltaïques d’un ou plusieurs producteurs est répartie entre un ou plusieurs consommateurs finals organisés autour d’une PMO (personne morale organisatrice). Les opérations d’ACC ont lieu sur plusieurs sites et l’électricité passe par le réseau, au contraire de l’ACI. L’ACC peut prendre différentes formes : l’ACC patrimoniale lorsqu’une même entité autoconsomme l’électricité sur plusieurs sites différents. L’ACC ouverte ou multi-acteurs en cas de pluralité de producteurs et consommateurs.
Pour faciliter le financement, les acteurs publics peuvent passer par la création de sociétés à capitaux majoritaires publics. D’ailleurs, le projet de loi SVE prévoit l’ouverture du recours à un véhicule spécifique : la société d’économie mixte à opération unique (Semop) qui associe une entreprise privée, détentrice d’au moins 15 % de l’actionnariat, et une collectivité avec une minorité de blocage, à tous les acteurs publics, et pas uniquement les collectivités territoriales.
Quels sont les cadres et règles contractuels à respecter ?
Le cadre procédural de l’ACI et de l’ACC patrimoniale ne doit pas être assimilé aux projets d’ACC ouverte. Dans ce dernier cas, il suffit de lancer un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) qui a pour objet la location de toitures ou de parcs de stationnement en contrepartie d’un loyer versé pour l’occupation par un producteur vendant son électricité.
L’ACI et l’ACC patrimoniale répondent en revanche à un besoin de la personne publique. La conclusion d’un simple bail ne suffit pas. Pourquoi ? Car si un bail a déjà été conclu avec un candidat lors d’un AMI, alors la concurrence, la transparence et l’égalité de traitement des candidats se retrouvent nécessairement faussés du fait de l’avantage certain détenu par le titulaire du bail
De plus, depuis la réforme de 2016 du code de la commande publique, les montages contractuels dits allers-retours (contrat « aller » : pour la location du terrain ; contrat « retour » pour la mise à disposition de la centrale) sont interdits.
Aussi, en ACI ou ACC patrimoniale, il faut lancer un appel d’offres, plus contraignant que l’AMI, avec des règles de publicité et de mise en concurrence spécifiques pour la conclusion d’un contrat de la commande publique, lequel devra être choisi et rédigé avec soin de sorte à respecter le paiement intégral après service fait, l’interdiction des paiements différés (lissés dans le temps) demeurant l’exception.
Le marché global de performance énergétique à paiement différé a été créé à titre expérimental jusqu’en 2027 pour la rénovation énergétique. Il n’existe aucun marché de ce type actif à l’heure actuelle. Ceci est lié notamment à la lourdeur administrative induite par ce modèle avec l’établissement par la personne publique d’une étude ayant pour objet de démontrer l’intérêt d’un recours à un tel contrat et d’une étude de soutenabilité budgétaire du projet. La pérennisation de ce contrat repose sur sa nécessaire adaptation. C’est dans ce sens que le projet de loi SVE prévoit un élargissement de ce marché aux opérations d’autoconsommation avec une prolongation de sa durée de deux ans et demi, soit jusqu’au 31 décembre 2030.
Le marché de location de centrale à un acteur public, suppose plus de technicité dans sa rédaction, notamment pour le sort des biens en fin de contrat afin d’éviter une requalification en location avec option d’achat en raison du monopole bancaire. Ceci dit, il n’est pas certain que ce modèle soit pérenne en matière de tiers-investissement car dans le cadre d’un marché de location, il n’y a pas rémunération sur service fait mais réellement paiement différé, et le contrat encourt dès lors un risque de requalification. De plus, la notion de « location » n’apparaît dans le Code de la commande Publique que pour les marchés de fournitures et les marchés ayant pour objet la prise en location de locaux existant, ce qui tend à confirmer qu’un marché ayant pour objet la construction d’un ouvrage ne peut pas prévoir sa prise en location.
A côté des marchés publics, l’acteur public peut choisir le contrat de concession en ACI ou ACC. Tout l’enjeu réside dans le fait de faire peser sur le concessionnaire un risque d’exploitation réel et pas seulement théorique. La concession étant déjà une formule connue, de plus en plus de collectivités y recourent.
Quels sont les risques juridiques et financiers à anticiper ?
- D’un point de vue contractuel, nous faisons face à des freins juridiques qui, bien que réels, sont généralement surmontables. Bien choisir son modèle contractuel permet d’éviter l’insécurité juridique et notamment le risque de requalification du contrat en un autre contrat de la commande publique ou un contrat de vente d’électricité. En effet, l’un des principaux attraits de l'autoconsommation est son tarif attractif exonéré de la part variable du Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Électricité) en ACI, et du droit d’accise en ACI et en ACC (pour les montages en ACC inférieurs à un mégawatt crête).
- D’un point de vue législatif et réglementaire, l’obstacle principal que nous rencontrons est l’évolution rapide et le manque de précision du cadre énergétique actuel. Les grandes lois en la matière, comme la loi Energie et Climat du 8 novembre 2019 et la loi APER du 10 mars 2023, renvoient à une multiplicité de codes (code de l’urbanisme, code de l’énergie, code de la construction et de l’habitation notamment), qui s’appuient eux-mêmes sur des décrets et arrêtés d’application qui ne sont pas tous publiés à ce jour, créant une incertitude Une série de modifications est déjà attendue, alors même que la majorité des textes sont récents, avec la publication de la future loi d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière (notamment) d’énergie.
- En termes assurantiels, et en particulier de police de responsabilité civile décennale du constructeur, la jurisprudence tend à une appréciation extensive de la notion d’intégration de la centrale au bâti soumise à obligation d’assurance.
(1) Le tiers-financement consiste à faire appel à un investisseur externe pour financer l’installation et la maintenance de la centrale photovoltaïque en contrepartie d’une redevance d’accès pour la mise à disposition de celle-ci, dans les conditions prévues par les articles L315-1, L315-2 et suivants du Code de l’énergie.