Révisions tarifaires, moratoire déguisé sur le S21, réduction de la part allouée au photovoltaïque dans la PPE, le gouvernement n’y va pas de main morte avec l’énergie solaire. André Joffre, expert ès solaire depuis 40 ans, fondateur du bureau d’études Tecsol en a vu d’autres. Il nous fait part de son sentiment sur cette nouvelle séquence qui ébranle l’énergie solaire !
Plein Soleil : Comment vivez-vous le moment qui voit à nouveau l’énergie solaire faire face aux avanies du gouvernement ?
André Joffre : Vous savez cela me rappelle un peu le début des années 80. En 1981, le premier ministre de l’époque, Pierre Mauroy fait passer via le fameux 49.3 le programme de relance du nucléaire doté de 60 tranches de réacteurs contre la volonté du parlement et donc contre sa propre majorité. La promesse d’alors un taux de pénétration du nucléaire démesuré à 70%, le plus élevé au monde, là où il n’en fallait que 35% pour couvrir ce que l’on appelle l’hyper base. La France est ainsi devenue une exception énergétique dans le monde. Ces 70% contraignent in fine à réguler le nucléaire, une énergie qui n’est pas faite pour varier dans la journée. Dès lors, et à partir de 1986, la France a fait la guerre aux énergies variables, a interdit le solaire pour laisser la place au tout nucléaire.
100 GW en 2035, la promesse oubliée
André Joffre : Par idéologie, la France s’escrime à vouloir toujours donner au nucléaire une place plus importante que prévu. On le voit avec la volonté de mettre en place les EPR2. Pour ce faire, il faut brider le solaire. Pour ma part, je suis persuadé que les propositions de réductions tarifaires, ce moratoire sur le S21, n’étaient qu’un écran de fumée pour masquer la réduction des volumes envisagés par le gouvernement précédent. Il fallait dissuader les candidats à déposer des projets.
Plein Soleil : Première lame la baisse des tarifs, deuxième lame les objectifs de la PPE ?
André Joffre : C’est un peu cela ! Souvenez-vous, il y a un an, en avril 2024 à Manosque, lors de la visite d’une centrale au sol devant toute la profession. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique, avec à ses côté le ministre de l’Industrie Roland Lescure, annonce et signe un accord de 100 GW de solaire en 2035 en contrepartie de l’engagement des professionnels à installer 40% de produits d’origine européenne dans les centrales. Un an après, où en est-on de cet engagement ? Où en est la parole de l’Etat ? Que s’est-il passé, quels ont été les changements dans le paysage pour une telle reculade ? La PPE évoque désormais 65 GW soit – 35% des objectifs de marché. L’Etat n’a pas tenu parole. L’acte fondateur a été écarté, balayé sans aucune concertation avec les acteurs de la filière. Le Haut-Commissaire à l’énergie atomique a repris la main vouant désormais le destin des volumes d’énergie solaire, à celui des consommations d’énergie. Le nucléaire en arbitre des inélégances ! Il s’agit là d’un combat d’arrière-garde.
« Nous n’allons pas hypothéquer ce qui peut se réaliser rapidement »
Plein Soleil : La PPE notifie quand même une hausse à venir des consommations électriques dans les années qui viennent. Car il existe une certaine urgence à décarboner nos sociétés n’est-ce pas ?
André Joffre : Vous avez raison d’évoquer l’urgence. Que sait-on aujourd’hui sur les coûts et les délais de construction des EPR2 ? Rien. On nous dit qu’une feuille de route arrivera fin 2025. Dans tous les cas, dans les dix ans qui viennent, peut-être quinze ans, le nouveau nucléaire ne sera pas opérationnel. Nous n’allons pas hypothéquer ce qui peut se réaliser rapidement. Et dans ce cadre, seules les énergies renouvelables seront en capacité de pallier dans l’urgence les hausses à venir des consommations électriques et de l’électrification des usages au sein de la société. Qui plus est le solaire est devenu ultra compétitif. Les moyens de productions d’électricité solaire représentent désormais chaque année la majorité des implantations énergétiques.
Plein Soleil : Mais cela reste une énergie variable vous rétorquent ses contempteurs ?
André Joffre : Là aussi, j’ai quelques soupçons en que techno optimiste. Le couple solaire-batterie permet le pilotage de l’énergie et devient de plus en plus compétitif. Cette solution qui fait florès de par le monde avec des acteurs majeurs français comme Akuo ou Neoen n’apparaît pas dans la PPE qui semble faire fi de ce type d’évolution technologique. Aucun volume n’y est défini. A croire que certains n’ont pas envie que l’énergie solaire devienne pilotable en France.
« Sans aucune visibilité »
Plein Soleil : Quelles peuvent être les conséquences concrètes d’un tel désengagement du gouvernement sur la filière solaire ?
André Joffre : Cela est difficile à appréhender. Il n’y a pas de réelle étude d’impact et beaucoup de paramètres sont en jeu. Reste qu’aujourd’hui, la rentabilité de l’énergie solaire est modérée. Il n’y a aucun effet d’aubaine. Il est certain que si le gouvernement applique de fortes dégressivités, nous allons à la catastrophe. Il faut être très précautionneux et méticuleux dans la gestion des tarifs. On joue avec de la matière humaine, des femmes et des hommes qui se sont beaucoup investis jusqu’à parfois hypothéquer leur maison. Et puis de vous à moi, comment nos porteurs de projets industriels vont être en mesure de mobiliser des investissements pour construire leurs usines quand la parole de l’Etat est si défaillante, quand les règles du jeu sont modifiées en permanence ? Sans aucune visibilité.
Plein Soleil : Un dernier mot pour conclure sur l’énergie solaire et les territoires ?
André Joffre : Je voulais en effet évoquer pour finir les territoires et la dose de régionalisation incluse dans la PPE. Vous savez, les Régions n’ont pas attendu l’Etat pour mettre en place des feuilles de route volontariste en matière de développement des EnR avec notamment les programmes REPOS de régions à énergie positive. Par exemple, la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga qui a alerté sur les effets du moratoire sur son écosystème régional, fait campagne depuis des années sur l’autonomie énergétique de sa Région en 2050. Et elle s’en donne les moyens. Sur ce sujet, la PPE ne doit en aucun cas être descendante, d’aller des cabinets ministériels vers le terrain. Ce doit être l’inverse. C’est des Régions que doivent venir les idées, les projets, les innovations. Elles connaissent leurs besoins et doivent avoir leur mot à dire. Les régions s’engagent à tenir le cap de la transition énergétique et ne veulent en rien baisser l’intensité de leur révolution énergétique. Il en va de leur avenir économique, social et environnemental…