Lors de la nomination, le 11 janvier dernier, de douze ministres et de trois ministres délégués, les filières du renouvelable notent avec stupeur l’absence d’un ministre de la Transition Energétique. Quelques heures plus tard, Bruno Le Maire assure que l’Energie repasse désormais sous le giron de Bercy, quinze ans après le Grenelle de l’Environnement qui en avait fait une priorité du ministère de l’écologie. Un revirement qui soulève des inquiétudes !
Jeudi 11 janvier 2024, à l’annonce du nouveau gouvernement, l’Energie se retrouve orpheline d’un ministère. Exit Agnès Pannier-Runacher ! Bercy prend le relai, apprend-on. Dès le lendemain, la filière des énergies renouvelables a exprimé sa préoccupation de voir disparaître le ministère jusqu’ici pleinement consacré à l’énergie, sujet stratégique et de forte actualité désormais rattaché au ministère de l’Economie de Bruno Le Maire, connu pour son soutien marqué à l’énergie nucléaire. Le rattachement de l’énergie au ministère de l’économie a pour effet de décorréler énergie et climat. « Considérer l’énergie sous le seul prisme économique et du développement industriel serait extrêmement réducteur et en contradiction avec l’urgence environnementale et climatique, en favorisant l’approche techno-solutionniste au détriment de l’indispensable sobriété » soutient un expert.
« Un mauvais signal quant au volontarisme politique »
La France a disposé pendant 18 mois d’un ministère dédié, une première depuis 15 ans liée aux enjeux de la transition énergétique: climat, sécurité d’approvisionnement, souveraineté… Et cette organisation a porté des fruits, soulignent de nombreux acteurs. « On peut être surpris de l’absence d’un ministère de l’Energie de plein droit, notamment après qu’on ait connu en 2022 une crise énergie historique, qui n’est pas un sujet derrière nous », a souligné Michel Gioria, délégué général de France Renouvelables. « L’enseignement des 18 mois passés est que si l’on veut une politique énergétique efficace, il faut une maîtrise technique, une capacité d’écoute et un suivi très fin, sur le terrain, de tous les éléments : nucléaire, renouvelables, plan de sobriété… Il ne faut pas que ce grand ministère nous en éloigne ».
Pour le Syndicat des énergies renouvelables (SER), la suppression de ce ministère est « un mauvais signal quant au volontarisme politique » sur la transition énergétique, a expliqué son président Jules Nyssen, qui a aussi voulu « rendre hommage à Agnès Pannier-Runacher », la ministre sortante. « Au moment où les maires doivent travailler sur des zones d’accélération des renouvelables, où se prépare la planification de l’éolien en mer, où des investisseurs s’interrogent sur le fait de soutenir de futures gigafactories françaises, les signaux depuis le début de l’année ne sont clairement pas positifs », poursuit Jules Nyssen.
Les associations écologistes et les syndicats s’appuient sur une réalité à savoir l’énorme travail de RTE (le gestionnaire du réseau électrique, NDLR) sur les différents scénarios énergétiques montre que les seuls leviers de production disponibles d’ici 2035 sont les énergies renouvelables, solaire et éolien en premier. « Les décisions de politiques publiques doivent s’appuyer sur des faits. Tout écart aura des conséquences lourdes pour les Français notamment en termes de sécurité d’approvisionnement et de prix de l’énergie », prévient Michel Gioria.
« Je crois profondément aux énergies renouvelables et je veux accélérer leur déploiement en France »
Face à ce scepticisme tous azimuts, Bruno Le Maire a joué l’étonnement et l’incompréhension. Sur le plateau de Quotidien du 17 janvier, il se défend : « Je ne comprends pas. Franchement, je ne comprends pas les critiques. Je ne comprends pas les inquiétudes. Je pense qu’avoir l’énergie à Bercy, c’est accélérer la réalisation de projets qui sont d’abord des projets industriels. Il faut les construire les éoliennes. Il faut les bâtir, il faut les construire les champs éoliens. C’est techniquement, industriellement, financièrement très compliqué mais je ne veux laisser aucune ambigüité. Je crois profondément aux énergies renouvelables et je veux accélérer leur déploiement en France ».
Dont acte ! Pourtant les premières décisions du ministre ont de quoi surprendre. Inquiéter même ! Initialement prévu pour juillet dernier, le projet de loi du gouvernement sur la souveraineté énergétique a ainsi été repoussé sine die. Il était déjà attendu pour juillet 2023. Et Bruno Le Maire de s’expliquer devant les membres du CNTE. Il a tenu à rassurer sur son « engagement total pour le climat ». « Est-ce qu’il faut une planification énergétique et climatique ? Oui », a-t-il martelé, avant d’ajouter que cela ne se faisait « certainement pas dans la précipitation ». Le ministre a par ailleurs tenu à réaffirmer vouloir s’appuyer sur « toutes les sources d’énergies décarbonées », se disant « totalement convaincu » que le nucléaire et les renouvelables, « c’est complémentaire ».
« Prendre le temps d’avoir une belle loi »
Le 8 février dernier, Roland Lescure est devenu le nouveau ministre délégué de l’Industrie et de l’Energie sous la tutelle de Bercy. Avec un a priori favorable. Pour Daniel Bour, Président d’Enerplan, « Nous escomptons que la nomination de Roland Lescure à la tête d’un grand ministère regroupant l’industrie et de l’énergie auprès du Ministre de l’Économie et des Finances lui donne les moyens d’accélérer l’application de la loi du 10 mars 2023 d’accélération de la production des énergies renouvelables, et de l’énergie solaire en particulier. Nous avons eu l’occasion de mesurer l’engagement de Roland Lescure, en tant que ministre de l’Industrie, à soutenir le volet industriel de la transition énergétique, notamment les projets de gigafactories en France de panneaux solaires. Il peut compter sur la mobilisation de la filière solaire, qui oeuvrera à ses côtés pour la réussite de la transition énergétique et ainsi assurer la décarbonation de notre économie et sa souveraineté énergétique. »
Et justement sa première mission : désamorcer les appréhensions des acteurs du renouvelable face aux manœuvres dilatoires quant au projet de loi Souveraineté Energétique. Lors de sa première prise de parole sur France 3, le 11 février dernier, Roland Lescure a expliqué vouloir « prendre le temps d’avoir une belle loi, qui nous protège tous et nous permette d’investir. Ce que je veux d’abord, c’est d’avoir un débat public. Évidemment, il y aura des dispositions législatives qui passeront à l’Assemblée, donc il y aura une loi d’une manière ou d’une autre. » Donner du temps au temps. La scie est désormais connue. Les acteurs des renouvelables vivent en permanence sous l’épée de Damoclès des stop and go. La présentation du projet de loi est annoncée pour le premier semestre ou au plus tard jusqu’à la fin de l’année. La nécessité d’un débat sur l’équilibre global du système énergétique français avec les associations de producteurs et de consommateurs, les consommateurs et les groupes parlementaires se révèle prioritaire pour le nouveau ministre.
Et Anne-Catherine de Tourtier, présidente de France Renouvelables de conclure : « La transition énergétique de notre pays, a besoin d’un cap et d’une planification coordonnée des trajectoires. La science et l’expertise notamment de RTE ont remis la rationalité au centre des débats. Pourtant, si cette planification n’aboutissait pas, si la France ne développait pas ses énergies renouvelables massivement dans les quinze prochaines années, alors notre pays paiera cette inaction par une dépendance énergétique majeure envers les pays producteurs d’énergies fossiles dans un contexte géopolitique très fragile. Sans maitrise de notre avenir énergétique et de notre souveraineté, sans relance de notre industrie et sans maitrise des coûts, ce sont les ménages et les entreprises qui seront impactés au premier chef ».