Benoît Lemaignan, co-fondateur et président de Verkor, la quatrième Gigafactory de batteries à Dunkerque, était l'invité vendredi 15 septembre de Laure Closier et Christophe Jakubyszyn sur BFM Business, au lendemain du bouclage du budget de deux milliards d'euros.
Christophe Jakubyszyn : On est avec Benoît Lemaignan, co-fondateur et président de Verkor, merci beaucoup d'être avec nous. Nous sommes contents parce qu’on croit à cette industrie de l'automobile électrique qui est en plein renouveau et en pleine création en France. Vous êtes une des briques importantes. Les batteries, la quatrième Gigafactory, celle de Verkor a donc bouclé son tour de table hier : deux milliards d'euros. Un tour de table avec des investisseurs privés, Jean-Marc est content, 850 millions d'euros et bien sûr un peu de subvention publique, un prêt de la BEI et puis les fonds franco-européens pour 600 millions d'euros.
Ça y est, c'est parti, l'usine a déjà commencé à être construite, quand est-ce qu'on aura les premières batteries Verkor ?
Benoît Lemaignan : Bonjour et merci beaucoup de me recevoir, effectivement l'usine a commencé à être construite et les premières batteries Verkor sont en train d’être produites à Grenoble où nous avons créé un « Verkor innovation center » pour développer nos produits et nos process. À Dunkerque il y a encore un peu de travail, il faut construire l'usine, la démarrer, ce sera à la fin 2025 qu'on aura les premières batteries qui sortiront de notre Gigafactory.
Laure Closier : alors justement le défi il est colossal en termes de construction d'usine, mais aussi en termes d'humains, on parle à Dunkerque de la nouvelle « batterie vallée », vous allez même créer une école de formation, il va falloir attirer sérieusement.
Benoît Lemaignan : l'école de formation est déjà créée et on a fait le choix de la faire avec beaucoup de partenaires pour justement anticiper ces besoins qui dépassent Verkor, c'est toute une filière que l'on construit, et sur toutes les étapes de la chaîne de valeur. Aujourd'hui Verkor, c'est près de 400 personnes et on en a déjà formé une partie, à tous les étages, des opérateurs jusqu'aux cadres, ingénieurs, et on a aussi commencé à déployer des formations pour adultes via les AFPA qui permettent à travers des reconversions, finalement des transferts de compétences. Les batteries ce sont des nouvelles compétences mais c'est aussi l'utilisation de compétences déjà existantes avec beaucoup de similitudes avec le monde des semi-conducteurs et dans la région de Grenoble où nous nous trouvons aujourd'hui il y a beaucoup de ponts. Dans la région dunkerquoise, il y a des gens qui arrivent du monde de l'automobile, de l'industrie en général et ces reconversions il y a beaucoup d'appétences pour le faire.
La semaine prochaine, à Dunkerque, se tiendra un grand salon autour de l'emploi et on s'attend à avoir énormément de sollicitations et nous en sommes très heureux.
Christophe Jakubyszyn : Il faut dire que Verkor, à vous seul vous allez créer 1200 emplois directs, 3000 emplois indirects. Je vais quand même jouer les empêcheurs de tourner en rond. Vous êtes le quatrième projet il y a celui de ProLogium le taiwanais, il y a celui de « Automotive Cells Compagny (ACC) », la co-entreprise entre Stellantis et TotalEnergies, Renault qui va ouvrir sa propre usine avec le groupe chinois « AESC Envision » en 2024. Est-ce qu’il n’y aura pas trop finalement de batteries ? Est-ce que vous allez tous survivre ?
Benoît Lemaignan : Deux éléments là-dessus, la première c'est qu'on n'est pas dans les mêmes temporalités, c'est à dire que nous avons choisi, comme d'ailleurs ACC, d'être sur une technologie de batterie qui est une technologie optimisée par rapport aux batteries actuelles, mais qui n'est pas en disruption en rupture ce qui est le cas de ProLogium.
Donc les temporalités de démarrage de nos usines sont 2024, 2025, 2026. Je pense que ProLogium sera un temps plus tard. Par rapport au volume, notre usine va permettre d'alimenter 200 à 300 milles véhicules. L’intention que s’est données l'Europe, c'est de basculer massivement vers l'électromobilité dans la voiture particulière et dans les camions à l'issue de ce premier mouvement.
D'ici à 2035 nous aurons besoin de plusieurs centaines de gigawattheures de production chaque année. Aujourd'hui en Europe on en a quelques dizaines et nous Verkor notre première usine va apporter 16 GWh/an. Donc la place sur le marché est là. La problématique que nous nous percevons c'est au contraire que nous n'allions pas assez vite pour satisfaire les besoins du marché. On a des clients qui seraient heureux d’avoir nos batteries dès aujourd'hui, évidemment on n'est pas capable de les fournir, cela prend du temps de lancer ces usines.
On voit plutôt les choses dans l'autre sens parce que le basculement que nous sommes en train de faire, qui a tout un tas d'implications, doit aussi permettre de réduire notre déficit énergétique pétrolier en basculant vers des technologies qu'on est capable de maîtriser, avec des chaînes de valeur locales. Donc aujourd'hui le sujet c'est plutôt de faire grandir rapidement cette industrie en Europe que de craindre une éventuelle abondance ou trop d'abondance de ces produits sur le marché
Laure Closier : Et avec une capacité à pivoter en cas d'évolution très rapide des technologies c'est ça peut aller très vite ?
Benoît Lemaignan : Oui et il faut rester un petit peu tranquille, dans le sens où les batteries qu'on utilise aujourd'hui c'est l'aboutissement avec cette fameuse technologie « NMC nickel-manganèse-cobalt » d'une quinzaine d'années de progrès depuis les premières batteries qu'on avait il y a 15 ou 20 ans dans nos ordinateurs portables. Il y a d'autres technologies qui arrivent on parle de « Sodium-ion », on parle de « LFP lithium- fer-phosphate » on parle d' « état solide ». Ce qui est clair c'est que les batteries « solides » c'est à au moins une décennie avant de pouvoir entrer dans des voitures, pour diverses raisons et nous ne sommes pas les seuls à le dire, ce sont beaucoup d'acteurs, et que par ailleurs les batteries que nous allons sortir elles vont répondre à l'immense majorité des besoins en termes d'autonomie, de vitesse de charge, de capacité à être recyclés pour réutiliser les matériaux.
Enfin, et pour répondre à votre point, ces usines sont en partie adaptables parce qu'elles sont constituées d'une dizaine d'étapes industrielles et si d'aventure on devait par exemple partir sur une technologie de chimie différente avec quelques éléments à adapter, mais on pourra garder les principales parties de la production qui seront déployés dans l'usine de Dunkerque.
Christophe Jakubyszyn : Benoît Lemaignan, celui qui hier a critiqué les subventions publiques à l'industrie par conviction libérale, c'est Jean-Marc Daniel. Est-ce que vous avez une question à poser à Benoît Lemaignan Jean-Marc ?
Jean-Marc Daniel : Oui ce que je trouve intéressant c'est que le projet est enthousiasmant, le projet même repose sur une anticipation de demande assez forte et donc pourquoi ce discours vous ne l’avez pas tenu devant des banques qui vous auraient financé ? Pourquoi est-ce que vous êtes obligé d'aller chercher l'Etat, si c'est aussi prometteur que ça pourquoi est-ce que des investisseurs privés ne sont pas au rendez-vous ? il y a certains sont là mais pas assez et pourquoi est-ce que vous avez besoin de boucler avec l'État ?*
Benoît Lemaignan : il y en a énormément qui sont là en pratique vous avez vu le tour de table qu'on réunit avec de grands investisseurs comme Macquarie, Meridiam qui prennent quand même une part très importante du capital, comme Renault également et donc le secteur privé s'engage très fortement. Le soutien d'État vient en complément pour donner une élément de réassurance et surtout pour permettre d'aller chercher une compétitivité du produit par rapport à certains concurrents et par rapport à ce que font les Américains.
Vous le savez, Monsieur Daniel, nous avons été également appelés par certains États américains compte tenu de l'IRA, donc l'idée que nous avons en étant allé travailler avec l'État sur le soutien, c'est de sécuriser le démarrage de nos projets, de cette usine, d'avoir une bonne compétitivité dès le démarrage et finalement si vous regardez l'ensemble du modèle économique d'une usine de ce type-là bien sûr les sommes sont importantes, le soutien est important mais sur l'ensemble à la fois des investissements qui sont faits, et surtout des dizaines d'années d'opérations de l'usine ça représentera une aide relativement modeste au début mais qui permet de sécuriser et de rassurer les investisseurs.
Cela montre aussi que ces projets-là sont soutenus et je ne connais pas dans le monde de projets de batterie qui n'est pas été soutenu par les États. Je vous rassure, les chiffres sont importants mais on va être là pour des dizaines d'années avec une usine qui va produire énormément de volume et ramené au chiffre d'affaires généré global ça va rester assez modeste y compris par rapport à ce qu'on a pu voir aux États-Unis sur les soutiens apportés à certains projets.
Christophe Jakubyszyn : En tout cas merci beaucoup Benoît Lemaignan co-fondateur et président de Verkor d'avoir été sur ce plateau.