A l’heure où le déploiement territorial des énergies renouvelables (EnR) s’accélère, l’Office français de la biodiversité (OFB) publie une étude, menée en partenariat avec le cabinet de conseil PwC, visant à identifier et valoriser les leviers développés à l’international, d’intégration de la biodiversité dans les projets de parcs solaires photovoltaïques (au sol ou flottants) et éoliens terrestres. Après avoir catalogué les initiatives de terrain menées dans huit pays, cette étude dévoile 80 leviers d’actions et de pistes de réflexion pour un éventuel déploiement en France.
Les énergies renouvelables sont au cœur de la stratégie française d’atténuation du changement climatique et de maintien de sa souveraineté énergétique. Les projets connaissent une forte croissance ces dernières années, qui devrait encore s’intensifier avec l’adoption récente de la loi relative à l’accélération des énergies renouvelables. Le développement de ces infrastructures énergétiques nécessite toutefois beaucoup de foncier, ce qui engendre des pressions supplémentaires sur les milieux naturels et la faune et la flore sauvage associées. Or, selon l’Observatoire national de la biodiversité, sur la dernière décennie, la destruction et la fragmentation des écosystèmes à des fins, notamment, d’aménagements du territoire constituent la menace la plus importante de l’érosion de la biodiversité dans l’Hexagone.
Anticiper lors des étapes amont des projets
Face à l’urgence de concilier transition énergétique et reconquête de la biodiversité, l’OFB, le cabinet de conseil PwC et l’Institut de la Transition Environnementale de Sorbonne Université ont réalisé un bilan de la connaissance scientifique ou de la littérature grise des différents types de leviers mobilisables. Ils ont ensuite identifié plus de 80 leviers internationaux susceptibles d’être développés en France par l’ensemble de la chaîne d’acteurs, institutionnels, privés ou issus de la société civile.
Ces leviers sont dans leur très grande majorité susceptibles d’être mobilisés lors des étapes amont de planification et de budgétisation des projets, bien avant leur conception et instruction. Parmi ces derniers, une étude approfondie de 10 d’entre eux met en évidence les approches, outils et critères utilisés, de même que leurs avantages et limites. Au total, 13 pistes d’action issues des échanges avec le comité de suivi ont pu être émises, dont près de la moitié présentent des points forts de consensus.
Classés en trois grandes catégories, ces leviers d’action sont d’ordre économique, technico-régalien ou socio-cognitif.
Les leviers économiques
L’étude a mis en évidence 21 exemples internationaux de leviers économiques incitants à atténuer les incidences des EnR sur la biodiversité. Il est possible de les regrouper selon les quatre catégories suivantes :
• La fiscalité environnementale, à l’image de la taxe sur les mats d’éoliennes fixée et appliquée par les communes en Belgique. Cette taxe varie entre 0 et 17 500 euros en fonction de l’étendue de l’impact environnemental et paysager induit par le mat et les pales de l’éolienne.
• La lutte contre les subventions dommageables et conditionnalité des aides publiques. En Espagne, la note environnementale des projets s’élèvera à 15 % de la note globale des futurs appels d’offres. En Irlande, l’alimentation d’un fond communautaire s’impose à tous les projets soutenus par le dispositif d’Etat (Renewable Electricy Support Scheme), via une participation à hauteur de 2 euros/Mwh.
• Les financements privés conditionnés. Aux Etats-Unis, des critères biodiversité sont parfois obligatoires pour obtenir une certification garantissant l’origine « verte » de l’électricité. De tels critères existent pour la biomasse et l’hydroélectricité.
• L’anticipation financière des impacts et de leurs contreparties environnementales, via la mise en œuvre de mesures de compensation « par l’offre ». En Allemagne, des décrets fixent au niveau de chaque Land les modalités de calcul du besoin compensatoire et l’offre de compensation nécessaire en retour (« Okokonto »). Cette méthode standard objective et harmonise les calculs, et sécurise les projets. Les éco-points peuvent être convertis en unités monétaires cédées à la collectivité locale pour mettre en œuvre des mesures de restauration écologique.
Parmi l’ensemble des exemples étudiés, trois ont particulièrement retenu l’attention du comité de suivi et ont fait l’objet d’une étude approfondie : les labels « biodiversité » dans les projets EnR, la création de cahiers des charges associés aux mécanismes de soutien financier des EnR (appels d’offres, appels à projet publics) ou encore la prise en compte de la biodiversité dans les contrats d’achat long terme d’électricité (Power Purchase Agreement, PPA).
Les leviers technico-régaliens
Concernant les leviers relatifs aux aspects techniques et législatifs, ce sont 31 exemples qui ont été passés au peigne fin pour identifier trois catégories d’actions :
• Des outils d’appui au déploiement territorial des EnR. Au Royaume-Uni, une application cartographique « MAGIC MAP » a été mise en ligne par le gouvernement. Accessible à tous, elle centralise l’information publique sur les EnR et l’environnement. Elle permet notamment aux développeurs d’EnR et aux autorités locales de vérifier l’éligibilité des sites d’implantation des projets, au regard de leur proximité éventuelle avec des zones protégées.
• Des documents cadres prédisposant les attendus des autorités administratives en matière de conception ou de suivi des projets EnR. En Allemagne, la conception des parcs éoliens terrestres est techniquement pré-cadrée au sein de chaque Land. Aux Pays-Bas, les porteurs de projet de centrales solaires flottantes ont l’obligation d’appliquer un protocole standard de suivi environnemental scientifiquement établi, visant à permettre de déployer cette filière émergente tout en alimentant la connaissance des incidences sur la base de données robustes.
• Des outils scientifiques et techniques d’appui à l’éco-conception des projets EnR. En Allemagne, le logiciel ProBat, qui vise à réduire la mortalité des chauves-souris, est désormais imposé. Ce modèle calcule également la perte de revenus liée à l’arrêt des machines, afin de mettre en perspective les effets des mesures de réduction sur le modèle économique des parcs.
L’ensemble de ces leviers se sont avérés des pistes sérieuses de réflexion pour l’établissement.
Les leviers socio-cognitifs
Enfin, l’analyse d’une trentaine de leviers socio-cognitifs montre l’importance de l’intégration de la biodiversité dans les projets en tant que vecteur d’acceptabilité sociétale des EnR. Trois grands types d’actions ont été référencées :
• La sensibilisation, l’information ou l’accompagnement des acteurs. L’étude a référencé 4 Centres de Ressources dont les objectifs sont d’objectiver les débats en diffusant la connaissance scientifique et technique des incidences des EnR sur la biodiversité et des solutions pour y remédier. En Allemagne, un des Centres de Ressources propose en complément l’appui de médiateurs pour résoudre de conflits liés à la protection de la nature dans le cadre de projets EnR.
• La concertation des citoyens lors du déploiement territorial des EnR. Aux Pays-Bas, une démarche pas-à-pas en 5 étapes, comprenant une typologie des projets selon leurs niveaux d’incidences sur les paysages et la biodiversité, permet aux collectivités et aux citoyens de hiérarchiser les enjeux et de participer au choix des meilleurs sites d’implantation des projets au sein de leur commune.
• L’appui aux entreprises d’EnR dans leurs démarches volontaires d’auto-évaluation et de réduction de leurs impacts sur la biodiversité. En Irlande, l’entreprise SSE Renewables intervenant dans l’éolien publie un « plan biodiversité » où ses impacts sur la biodiversité sont évalués, et les mesures d’atténuation mises en œuvre et leur efficacité communiquées. D’autres entreprises s’engagent à réduire leurs empreintes Carbone et Biodiversité dans le cadre de leurs démarches de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE).
Au regard des leviers étudiés, la mise en place d’un Centre national de ressources français, visant à diffuser les informations scientifiquement robustes, à partager les retours d’expériences, à valoriser les bonnes pratiques et à accompagner l’ensemble de la chaine d’acteurs apparaît indispensable. Le développement d’outils d’aide à la décision et le recours aux sciences participatives constituent également des pistes sérieuses de conciliation des enjeux territoriaux de préservation de la biodiversité et de déploiement des EnR.
A travers ce benchmark, l’OFB ambitionne de concilier les enjeux de transition énergétique et de préservation de la biodiversité et de mobiliser l’ensemble des acteurs impliqués, qu’ils soient institutionnels, industriels, financiers, associatifs ou citoyens.