La crise énergétique a révélé que, si le marché journalier de l’électricité permet bien d’équilibrer offre et demande à court terme, il n’est clairement pas construit pour assurer les transformations radicales dont le secteur électrique a besoin pour répondre aux trois défis du secteur : la décarbonation, la sécurité d’approvisionnement et des prix abordables. Des réformes structurelles s’imposent. Point de vue du Conseil d’analyse économique !
Dans une Note du Conseil d’analyse économique, les auteurs, Dominique Bureau, Jean-Michel Glachant et Katheline Schubert (photo), du Conseil d’analyse économique, esquissent les contours des réformes auquel est confronté le marché de l’électricité. Ils avancent plusieurs recommandations à la fois pour répondre à la crise actuelle et pour organiser les marchés de demain, qui devront s’appuyer sur le déploiement à grande échelle des contrats de long terme et sur un rôle rénové de la puissance publique.
Profiter de la crise pour réorganiser le marché selon des objectifs durables
Les mesures prises en urgence cet automne répondaient à la volonté de préserver les consommateurs de hausses brutales de leurs factures et, en France, de contenir l’inflation. Mais il s’agit bien de subventions aux énergies fossiles, incompatibles avec l’objectif de décarbonation. Ces mesures devraient donc être adaptées selon trois principes : maîtriser la demande d’énergie – ce qui invite à remplacer progressivement le bouclier tarifaire par des dispositifs plus incitatifs –, coordonner les achats de gaz à l’échelle européenne plutôt que de plafonner son prix et impulser une décarbonation en s’appuyant sur un prix du carbone juste et prévisible permettant aux acteurs d’anticiper et d’orienter leurs investissements vers des technologies décarbonées.
Une architecture de marché au service du triple défi
Le marché de l’électricité fait face à un triple défi : décarbonation, sécurité d’approvisionnement et prix abordables. Sortir des énergies fossiles requiert des investissements considérables qui dépassent de loin l’effort engagé en matière d’énergies renouvelables, et ne peuvent s’y limiter si l’on veut assurer la sécurité d’approvisionnement. Ce constat vaut aussi pour la France compte tenu de l’augmentation des besoins en électricité et du vieillissement du parc électronucléaire. Or si les marchés de gros fonctionnent à court terme pour équilibrer offre et demande, ils sont inadaptés pour relever ce triple défi, faute de produire un signal de long terme crédible assurant à l’investisseur la couverture de l’ensemble des coûts qu’ils engagent dans des équipements capitalistiques.
Pour créer un modèle d’affaires pour des technologies décarbonées, il faut développer le recours à des contrats de long terme, garantissant des revenus aux producteurs: des contrats pour différence (CfD), qui tiendraient compte des coûts complets de fonctionnement des centrales et des investissements nécessaires à la prolongation de leur durée de vie, et des contrats d’achat d’énergie (PPA), des accords bilatéraux associant entreprises productrices et fournisseurs ou clients professionnels. Ces contrats seraient à même de succéder au dispositif mis en place pour le nucléaire historique en France (Arenh).
Les fournisseurs devraient par ailleurs être astreints à des règles prudentielles et à des obligations de couverture pour mieux protéger les consommateurs, tout en les incitant à moduler leur demande. Pour organiser la flexibilité de la consommation, certains investisseurs (agrégateurs) ont développé des dispositifs innovants permettant de contrôler voire de piloter des appareils de consommation ; ils devraient être encouragés.
Recommandation 3. Étendre le recours aux contrats de long terme (CfD et PPA) à l’ensemble de la production électrique décarbonée, développer le marché des prix à terme et organiser un marché secondaire pour les contrats bilatéraux d’achat d’énergie (PPA).
Recommandation 4. Instaurer des règles prudentielles applicables aux fournisseurs d’électricité et garantir qu’ils proposent des contrats à tarifs fixes sur une partie de la consommation, tout en préservant des incitations à réduire la consommation marginale.
Renforcer le rôle de la puissance publique
Cette nouvelle organisation des marchés suppose enfin de redéfinir le rôle de la puissance publique, au niveau national comme au niveau européen, via une coordination renforcée afin de programmer et de piloter l’évolution du mix énergétique. Il est indispensable de disposer d’une expertise multidimensionnelle capable de maîtriser les nombreuses incertitudes pesant sur le futur.
Recommandation 5. En France, confier à une instance la mission de coordonner les expertises, de recommander les investissements et de suivre l’évolution de l’écosystème électrique (parc, réseaux, consommations, électrifications, technologies et innovations).
Recommandation 6. Au niveau européen, renforcer la concertation dans le choix des mix énergétiques et la sécurité d’approvisionnement par une expertise produite par une autorité européenne aux missions élargie et aux moyens adaptés. Coordonner les marchés nationaux de capacité entre les États membres.