Le déploiement des énergies renouvelables ne pourra garantir notre sécurité énergétique qu'à la condition de maîtriser toute la chaîne de valeur. Pourtant, la production de panneaux solaires est encore le monopole de la Chine rappelle Mark Widmar (CEO de First Solar) dans une tribune publiée le 25 juillet 2022 dans le quotidien Les Echos
« Si les deux années de pandémie ont mis en évidence la vulnérabilité de la chaîne d'approvisionnement mondiale, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a montré le danger que constitue la dépendance à des pays qui utilisent leur pétrole et leur gaz comme instrument de domination et de chantage stratégique.
Dans ce contexte, la présidence française de l'Union européenne a appelé à repenser les stratégies de sécurité énergétique à long terme et à accélérer le déploiement des énergies renouvelables. Le Président Emmanuel Macron indiquait que : « les énergies renouvelables fourniront une énergie moins chère et à l'abri des turbulences des marchés. La France fait le choix résolu de son indépendance et de sa liberté ».
Un monopole de la Chine
Cependant, le déploiement des énergies renouvelables ne peut garantir notre sécurité énergétique que si nous maîtrisons toute la chaîne de valeur. Or, la production de panneaux solaires et sa chaîne de valeur sont aujourd'hui pratiquement monopolisées par la Chine, un régime probablement aussi antidémocratique et expansionniste que celui de Poutine.
Aujourd'hui, huit des dix plus grands fabricants de panneaux solaires au monde sont liés à la Chine. Elle contrôle la majeure partie de la production mondiale de polysilicium, le semi-conducteur qui constitue la base de la majorité des panneaux solaires du monde. De plus, 99 % de la production de plaquettes de silicium cristallin et 80 % de la production de cellules de silicium cristallin sont contrôlées par la Chine.
En conséquence, l'Europe, pionnière historique de l'industrie solaire mondiale, dépend désormais des importations soit directement de la Chine, soit des pays appartenant à la « nouvelle route de la Soie » d'Asie du Sud-Est. Cela pose un problème de souveraineté, car même si l'Europe dispose d'une capacité d'assemblage de panneaux solaires de 6,75 gigawatts en 2020, cette capacité dépend largement des wafers et des cellules de silicium cristallin provenant de chaînes d'approvisionnement contrôlées par la Chine. Pour installer 18,2 gigawatts de nouvelles capacités solaires en 2020, l'Union européenne a importé des panneaux pour une valeur de 8 milliards d'euros. La Chine a directement fourni 75 % de la valeur de ces panneaux solaires importés, voire 80 % si l'on inclut les importations des pays liés à la Chine grâce à la nouvelle route de la Soie.
Un problème de souveraineté
Alors que l'Union européenne s'est fixée pour objectif d'installer 45 gigawatts d'énergie solaire par an et d'atteindre une capacité installée de 600 gigawatts d'ici 2030 dans le cadre du plan REPowerEU, il est évident qu'en l'absence d'une stratégie industrielle, la dépendance de l'Europe vis-à-vis des chaînes d'approvisionnement en silicium cristallin chinois ne fera que s'accentuer.
La domination de la Chine sur le marché des panneaux solaires n'est pas le fruit du hasard. Les aides d'Etat et l'électricité au charbon subventionnée par la Chine, contraires aux règles de l'OMC, ont permis à ses industriels du solaire de démanteler systématiquement la concurrence internationale en faisant du dumping de panneaux solaires. Le gouvernement chinois a ainsi construit une vulnérabilité stratégique en Europe , qu'il peut exploiter à son avantage. Le problème que nous connaissons aujourd'hui avec le pétrole et le gaz russes pourrait survenir dès demain avec les panneaux solaires chinois.
L'urgence d'une politique industrielle européenne
La nécessité de contrer la domination de la Chine dans la fabrication des équipements solaires à travers une politique industrielle européenne durable est plus urgente que jamais, et ne semble pas échapper à la Commission européenne ni aux autorités françaises. En fait, Emmanuel Macron a annoncé que « pour cesser de subventionner l'importation de solutions renouvelables venues de l'étranger, France 2030 consacrera un milliard d'euros à l'innovation sur les énergies renouvelables. Les prochaines technologies pour les panneaux solaires et les éoliennes flottantes seront ainsi françaises et européennes ».
La bonne nouvelle, c'est que nous disposons déjà de la technologie et des innovations nécessaires pour renforcer rapidement les capacités de production européennes . Il ne manque qu'une politique commerciale et industrielle intelligente, qui encourage la production, pour que la France et l'Europe puissent facilement et rapidement devenir souverains en matière de panneaux solaires.
Devenir autonome
L'impasse dans laquelle se trouvent les démocraties aujourd'hui est sans doute le résultat de décennies de décisions court-termistes qui ont empêché de construire notre autonomie. Les dirigeants européens doivent s'assurer que nous ne répétons pas les mêmes erreurs, et agir de manière décisive. Le moment est venu.
L'énergie solaire ne sera une « énergie souveraine » que si l'ensemble de la chaîne technologique qui convertit les photons en électrons est libre de toute influence autoritaire. Toute autre solution renforce notre vulnérabilité énergétique et met en péril les intérêts de nos nations. »
Le site web Les Echos