Invité du colloque de l’UFE, Pascal Canfin a été interrogé sur le sujet d’actualité qui secoue le monde de l’énergie à savoir la définition de la « taxonomie » dont la publication vient d’être reportée à la mi-janvier 2022.
Journaliste : Les discussions sont vives sur le projet de règlement européen sur la taxonomie depuis plusieurs mois et notamment sur la question de l'inclusion du nucléaire et du gaz dans la catégorie des investissements pouvant être considérés comme vert ou durable sur le plan environnemental. Quelle est votre position sur ce sujet Pascal Canfin ?
Pascal Canfin : « Quand j'ai présidé la négociation la taxonomie, je peux vous dire que je ne pensais pas lorsqu'on a trouvé l'accord en 2019, que deux ans plus tard ce serait un sujet absolument récurrent de toute interview du Président de la République par exemple.
Plus sérieusement, je vais aller le plus vite possible, mais j'ai besoin d'un petit peu de temps pour expliquer quel est, je pense, le bon compromis. Le bon compromis c'est celui qui, même si le gaz et le nucléaire sont deux technologies qui n'ont strictement rien à voir, ceux qui poussent le gaz ne peuvent pas gagner sur le gaz si la France ne gagne pas sur le nucléaire et ceux qui poussent sur le nucléaire ne peuvent pas gagner sur le nucléaire, si ceux qui poussent le gaz ne gagne pas aussi sur le gaz. On a les deux qui sont liés dans un deal politique qu’on aime ou qu’on n’aime pas.
Le deuxième élément c'est que si le gaz et le nucléaire viennent dans la taxonomie alors je pense qu'il faut un certain nombre de conditions pour que ce soit praticable. Le premier argument c'est de dire, il faut qu'il y ait pour les investisseurs l'obligation d'avoir un système de transparence obligatoire pour ces deux technologies-là qui sont les deux technologies les plus sensibles sur le plan politique et qui peuvent potentiellement ou pas, poser problème à un certain nombre d'investisseurs qui voudrait être « fossil free » d'autres qui nous être « zéro nucléaire ». C’est la réalité, il y a des pays où c'est comme ça, il y a des fonds ESG c'est comme ça. Je ne suis pas là pour dire que c'est bien ou c'est mal, c'est juste la réalité de marché. Donc si ces fonds-là ne peuvent plus utiliser la taxonomie parce qu'ils diraient moi je veux être « fossil free » et dans la taxonomie il y a du gaz ou je veux être « nuclear free » et dans la taxonomie il y a du nucléaire, donc j'utilise plus la taxonomie, on a collectivement tous perdu la capacité de l'Europe à être un « standard setter » comme on dit en bon français à l'échelle internationale. Donc il faut qu'il y ait un mécanisme de flexibilité qui permettent aux investisseurs de cocher la case. « Est-ce que je prends toute la taxonomie, toute la taxonomie sans le gaz, toute la taxonomie sans le nucléaire, toute la taxonomie sans les deux ? » Comme cela, tout le monde s'y retrouve, mais le gaz et le nucléaire sont néanmoins dans cette taxonomie.
Deuxième élément, je ne pense pas que ni le gaz, ni le nucléaire ne puisse être dans la catégorie « verte » de la taxonomie. Dans la taxonomie il y a trois catégories, « vert », « facilitateur » et « utile à la transition ». Je pense que le compromis politique pour le nucléaire entre ceux qui disent « jamais de la vie parce que le nucléaire ça fait des déchets et ça comporte des risques » et ceux qui disent « bien sûr le nucléaire est utile et la décarbonation », ce qui est parfaitement vrai et c'est aussi vrai que ça fait des déchets et que ça comporte des risques spécifiques, le bon compromis entre les deux c'est dans la catégorie « transition de la taxonomie » et j'insiste sur ce point, la définition n'est pas « l'industrie est en transition », la définition est : « c'est une technologie utile à la transition » sans être verte ce qui me semble être la bonne définition du nucléaire. Pour le gaz il y a des conditions supplémentaires parce que le gaz est une énergie fossile qui peut être utile dans certains cas de figures à la transition et il faut lister ces cas de figures, et pour moi y en a trois, c'est très simple c'est un uniquement :
- Quand ça remplace le charbon, le cas allemand mais pas le cas belge auquel faisait référence Catherine à l'instant, évidemment le cas polonais et uniquement dans ce cas-là
- Si c’est limité dans le temps parce que ça permet de prendre le gain court terme de la baisse des émissions par rapport au charbon, mais on sait très bien que le gaz si on ne change pas pour le biogaz, l’hydrogène, etc, à ce moment-là le gaz il est incompatible avec la neutralité climat 2050. Donc il faut forcément que ce soit limité dans le temps donc au plus tard en 2030 c'est quelque part entre 2025 et 2030 pour le lancement des nouvelles infrastructures gazières taxo-compatibles.
- Le troisième élément c'est que ce soit compatible avec le principe du « do not harm » (« absence de préjudice »), c’est-à-dire 270 grammes de CO2 sur l'ensemble du cycle de vie du projet. J'insiste sur ce point, parce que j'ai eu l'occasion d'en parler assez longuement avec les équipes d’Engie, c'est l'ensemble du cycle de vie du projet et pas l’infrastructure que vous mettez sur le réseau au moment où le commissionnez, c'est à dire en gros ce que vous savez faire de mieux, c'est à peu près 350 grammes de CO2 par kilowattheure.
Donc si vous additionnez ces trois critères vous avez je pense là aussi un bon compromis qui ne remet pas en cause la crédibilité de la taxonomie mais qui est praticable dans la vraie vie des investissements et qui est compatible avec la neutralité carbone ».