Anne-Catherine HUSSON-TRAORÉ, PDG de Novethic, qui a fait partie du groupe d'experts qui a élaboré le projet de taxonomie, était l'invitée de BFM Business ce 30 décembre pour décrypter les tractations en cours au niveau européen.
Anne-Catherine HUSSON-TRAORÉ : On a bien compris que l'idée de faire partie de la prochaine histoire qui sera celle vraiment d'une économie verte, soutenable et durable, c'est quelque chose qu'il faut essayer de faire, mais ça va se faire de façon compliquée.
Journaliste : tout le monde veut en être on veut aussi peut-être tout y mettre. Je dis ça parce qu'il y a eu pas mal de débats, sur le nucléaire, sur le gaz. La présidence française qui devient présidence de l'Union Européenne dans quelques heures a poussé pour que le nucléaire soit dans le texte. Bon ce n’est pas dans le texte, ce sera dans un texte à part, cette taxonomie-là elle est aussi devenue éminemment politique ces derniers temps ?
Anne-Catherine HUSSON-TRAORÉ : Alors c'est tout le sujet, c’est-à-dire qu’au départ c'est un référentiel scientifique, basée sur la science et ça a été élaboré par un groupe d'experts sélectionnés par la Commission qui insiste beaucoup sur cette dimension « basée sur la science » puisque justement l'idée c'était de rester le plus loin possible de bagarres politiques et de bagarres surtout entre Etats membres, parce qu'en fait c'est ça le sujet d'avoir le même référentiel, puisque la vision des énergies d'un Etat à l'autre n’est pas la même. Le problème c'est que les deux géants de l'Europe que sur la France et l’Allemagne ont une vision diamétralement opposée de l'énergie nucléaire. La France est farouchement « pour », l'Allemagne farouchement « contre » et donc l'idée au départ c'était de se dire surtout évitons d'intégrer l'énergie nucléaire et l'énergie du gaz plutôt défendu par le bloc de l'Est de l’Europe et on va essayer de faire la taxonomie sans cela.
C'était sans compter sur ce qu'on appelle le « Conseil européen », où il y a donc tous les Etats membres qui se sont dit « mais il faut absolument qu'on est des énergies de transition, puisque le monde idéal décrit par la taxonomie n'est pas encore atteint ». Et puis surtout l'argent de l’Europe sera totalement aligné sur la taxonomie, c'est à dire que c'est ça l'enjeu en fait, l'argent et les subventions européennes vont favoriser au maximum toutes les activités taxo-compatible. C’est ça la carotte qui est liée au fait d'être dans la taxonomie.
Donc ça a duré deux ans dans le genre « on a une patate chaude qu'on évite de récupérer ». Là très clairement Emmanuel Macron, vous venez de le décrire, a pris des positions sur le nucléaire à peu près au même moment où l’Allemagne avait un nouveau gouvernement avec un énorme poids des écologistes, qui sont farouchement contre. Donc la situation est relativement complexe et ça bloque un peu dans tous les sens, donc pour l'instant l'idée c'était quand même de préserver la taxonomie en adoptant « l'acte délégué » fin 2021, pour qu'il entre en vigueur…
Journaliste : « l'acte délégué » c'est quoi ?
Anne-Catherine HUSSON-TRAORÉ : c'est la loi qui fait entrer en vigueur la taxonomie et sans l’option gaz ou nucléaire…
Journaliste : qui a été publiée il y a trois semaines...
Anne-Catherine HUSSON-TRAORÉ : …qui pourraient être intégrés en janvier et sous une forme, puisqu'il y a plusieurs propositions sur la table, une des solutions portées par Pascal Canfin, c'est l'idée de se dire on aurait un référentiel taxonomie qui serait « sans gaz et nucléaire » et puis certains pourraient ajouter le gaz et le nucléaire et ça serait quand même une sorte de taxonomie "avec le gaz et le nucléaire" ou "sans" selon ce que veulent les investisseurs. Ça menace d'être un peu compliqué, en même temps c'est…
Journaliste : c’est de la réalité, du réalisme aussi..
Anne-Catherine HUSSON-TRAORÉ : Cette affaire de taxonomie qui est un référentiel scientifique devient le symbole de ce que l'on veut. Est ce qu'on veut vraiment avoir un Green Deal européen ou pas ? Si on veut vraiment avoir un Green Deal européen, il faut transformer l'économie de tous les Etats membres et sur le même critère pour atteindre les objectifs environnementaux de l'Union. C'est ça finalement le cœur du débat politique et pour l'instant on a un peu de mal à l’avoir parce que, comme d'habitude, sur ce sujet-là comme sur les autres les Etats font des politiques nationales au lieu de faire une politique européenne.