François Ferrari, Avocat associé au Cabinet ACTAH
Le 22 juillet 2021, le Conseil Supérieur de l’Energie a rendu un avis défavorable sur les deux textes lui ayant été soumis pour la révision des contrats d’achat photovoltaïques. La motivation de cet avis n’est pas connue mais, juridiquement, ces textes posent plusieurs problèmes. L’analyse des textes soumis au Conseil Supérieur de l’Energie démontre à minima des incohérences et, surtout des causes de nullité qui devraient être sanctionnées par le Conseil d’Etat.
L’arrêté de révision est très peu modifié par rapport au projet transmis en juin 2021 : il vise enfin les arrêtés tarifaires régissant les contrats à modifier mais aussi les conditions d’intégration en reprenant les mentions des arrêtés tarifaires initiaux. L’intérêt de cette nouveauté restera à définir, sauf à vouloir effrayer les producteurs sollicitant la clause de sauvegarde…
En revanche, le décret a été sensiblement modifié depuis le projet diffusé début juin.
I°) Quelques nouveautés de la version du décret soumise au Conseil Supérieur de l’Energie
• L’ajout de quelques mots dans la définition du producteur n’est pas sans conséquence.
Dorénavant, le producteur est la personne morale ou physique qui dispose du contrôle effectif de l’installation à la date de la notification mentionnée à l’article 3. Cela permet au Gouvernement de réduire considérablement les cas d’ouverture de la clause de sauvegarde même si notre interprétation de l’article 225 nous avait amené à cette conclusion dès janvier 2021. Les dossiers de clause de sauvegarde confiés au Cabinet ACTAH ont donc tous été préparés en prévision de cette notion de contrôle effectif.
Il n’est toutefois pas certain que cet alinéa puisse être conservé dans son intégralité : il parait contradictoire avec l’article 225 de la loi. Celui-ci fixe la date limite de modification du capital ou du financement au 7 novembre 2020 alors que le décret, lui, prévoit la date de notification du tarif révisé (donc août ou septembre 2021 vraisemblablement).
La relecture, même rapide, de l’article 225 aurait pu éviter cette incohérence.
• Les critères d’appréciation de la viabilité économique ont également évolué.
Cette évolution, dans un premier temps, vise directement les professionnels de l’énergie qui auraient la capacité eux-mêmes ou par leurs détenteurs directs ou indirects à rembourser les dettes liées à l’installation de production. C’est oublier que ces professionnels utilisent leurs fonds propres pour répondre à des appels d’offres permettant de produire de l’électricité renouvelable à un prix sensiblement inférieur à celui du nucléaire…
L’évolution semble en revanche plus positive pour les groupes d’entreprises ne détenant les centrales photovoltaïques qu’à titre accessoire (les entreprises agricoles notamment) puisque le texte vise la capacité du producteur et de ses détenteurs directs ou indirects à maintenir la viabilité de leurs autres activités commerciale, artisanale, agricole ou industrielle, si cette viabilité était compromise du fait de la révision tarifaire.
Cette évolution avait déjà été anticipée dans le montage des dossiers de sauvegarde pour les clients du Cabinet ACTAH. Les dossiers de demande d’application de la clause de sauvegarde n’auront pas à être modifiés.
II°) Les éléments du dispositif réglementaire qui devraient entrainer sa sanction par le Conseil d’Etat
Deux éléments du décret devraient permettre son annulation par le Conseil d’Etat.
Un troisième élément entrainera son annulation de manière encore plus efficace mais son exposé est réservé aux clients du Cabinet ACTAH pour des raisons évidentes de stratégie.
• Tout d’abord, l’intervention de la Commission de régulation de l’énergie pose un vrai problème procédural : cette institution peut intervenir dans le processus mais elle ne peut être décisionnaire.
Or, elle est décisionnaire à deux titres.
Le projet de décret stipule : le producteur qui souhaite solliciter l’application du deuxième alinéa de l’article 225 de la loi du 29 décembre 2020 susvisée transmet à la Commission de régulation de l’énergie une demande de réexamen de sa situation dans des conditions et selon un format définis par la Commission de régulation de l’énergie
La Commission est donc indirectement décisionnaire en étant chargée de collecter les données, de les analyser et de proposer le tarif révisé aux Ministres qui signeront l’arrêté individuel : quelle est la décision du Ministre s’il se contente de notifier un chiffre proposé par la CRE ?
Le projet de décret poursuit en mentionnant que par dérogation à l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration, le délai au terme duquel le silence gardé par la Commission de régulation de l’énergie vaut décision de rejet est prolongé de deux à douze mois. La CRE devient ainsi directement décisionnaire en restant silencieuse douze mois (le point de départ de ce délai n’est d’ailleurs pas mentionné clairement).
Cela n’est pas sans conséquences juridiques : le Juge d’appel d’une décision de la CRE est la Cour d’appel de Paris. Or, le Juge du contrat photovoltaïque est le Tribunal administratif.
En outre, dans quelle mesure un décret peut-il déroger à un texte légal (l’article L 231- 4 précité) ?
Le décret pourra vraisemblablement être annulé du fait de cette incohérence.
Le décret est encore plus fragile à la lecture de l’alinéa suivant : l’application du premier alinéa de l’article 225 de la loi du 29 décembre 2020 susvisée est suspendue à compter de la date à laquelle la Commission de régulation de l’énergie accuse réception de cette demande, pour une période qui ne peut excéder 16 mois. Au terme de cette suspension, à défaut de décision différente, le niveau du tarif fixé par l’arrêté mentionné au deuxième alinéa de l’article 2 s’applique à compter de la date prévue par le même arrêté.
Hormis l’incohérence de délai (le point précédent fait état de 12 mois et non 16 mois)
Une telle disposition revient à priver le producteur de l’effectivité de son recours.
Pire encore, en appliquant le tarif révisé avant l’expiration d’un recours, le Gouvernement peut pousser les producteurs à la cessation des paiements et, par voie
De conséquence, à avoir les plus grandes difficultés à exercer leurs recours.
Une telle violation de l’Etat de Droit et des principes fondamentaux régissant les relations entre les citoyens et l’administration entrainera la sanction de ce texte par le Conseil d’Etat, voire la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
La décision administrative d’un Ministre consistant à réviser le tarif d’un contrat, doit pouvoir être soumise à la sanction du juge administratif. Un décret ne peut violer ce principe.
Sur ce point également, il est très probable que le Conseil d’Etat annulera le décret.
Enfin, la violation d’un autre texte conduira à l’annulation du décret par le Conseil d’Etat.
C’est également la violation d’un texte d’une portée juridique supérieure qui conduira à l’annulation de l’arrêté tarifaire de révision. Il s’agira de l’application de la jurisprudence du Conseil d’Etat bien établie en la matière.
Le lecteur comprendra que ces deux éléments stratégiques soient réservés aux producteurs ayant confié leurs dossiers au Cabinet ACTAH.