Par Maxime Gérardin, avec la participation d’Étienne Beeker, département Développement durable et numérique – France Stratégie
Les principaux travaux de scénarisation énergétique pour la neutralité carbone convergent vers une forte diminution de nos consommations d’énergie. Pour mettre fin à presque tous nos approvisionnements fossiles, ils combinent cette diminution à une très forte augmentation de la part du vecteur électricité – laquelle ne fournit aujourd’hui que moins d’un tiers de notre consommation d’énergie finale, sans même comptabiliser l’énergie « grise » de fabrication des produits importés. Selon un certain nombre de travaux, ces deux mouvements simultanés produiraient une augmentation substantielle du besoin en électricité.
Envisager le système électrique à long terme est donc fondamental pour la planification du système énergétique et de la neutralité carbone en 2050. Cela implique une réflexion quant au niveau de consommation attendu, à la profondeur de l’électrification des usages et aux moyens de production permettant de les satisfaire. En France, ce sont la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui explicitent, et révisent tous les cinq ans, les trajectoires souhaitées – avec une vision par vecteur énergétique jusqu’en 2050, et, au sein de l’électricité, une vision par filière de production jusqu’en 2028 pour les renouvelables et 2035 pour le nucléaire. RTE, dans sa fonction de responsable de l’équilibre offre-demande du système électrique, conduit actuellement des groupes de travail et a rendu publiques des propositions de scénarios à 2050 qui, avec lles analyses technico-économiques qui en seront faites, contribueront de support aux débats et à l’élaboration des volets électriques des futures SNBC et PPE.
Rapport AIE-RTE sur un mix 100 % renouvelable : de premiers éléments de diagnostic quant à un système à très forte proportion de renouvelables
La ministre de la Transition écologique et solidaire avait mandaté RTE en juin 2020 pour étudier la faisabilité d’un mix électrique 100 % renouvelable en 2050. Le gestionnaire de réseau, associé à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a rendu son rapport le 27 janvier 2021, en précisant qu’il se concentre sur la « faisabilité technique » d’un mix électrique avec une « forte proportion » d’énergies renouvelables (ENR). Ce rapport rappelle la problématique bien connue d’intégration des ENR intermittentes (solaire photovoltaïque et éolien) dans le système électrique afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement. Les quatre conditions suivantes, cumulatives, sont détaillées :
1) stabilité du système électrique. Ce point est technique puisqu’il concerne le maintien de fréquence du réseau à 50 Hz et ceci de manière permanente et synchrone sur l’ensemble des pays de l’ouest de l’Europe. Le photovoltaïque pose une difficulté particulière car les points de production sont très répartis partout sur le territoire, si bien que leur contrôle demanderait une capacité de traitement et une rapidité de communication dépassant de loin ce qui est mis en œuvre aujourd’hui.
2) sécurité d’alimentation. Le principal défi, bien connu, est celui de l’équilibre entre l’offre et la demande, dans un contexte de variabilité des énergies éolienne et solaire, énergies de flux et non de stock. Un système électrique ne peut fonctionner sans un minimum de sources d’énergie pilotables comme l’ont montré par exemple les black-outs californiens de l’été 2020. Les moyens de flexibilité à court terme sont le stockage, par batteries en particulier, ou le pilotage de la demande.
3) réserves opérationnelles pour gérer les longues périodes sans vent et sans soleil. Pour RTE-AIE, cela nécessite le développement de 40 à 60 GW de capacités pilotables d’ici 2050. Sachant qu’on ne peut plus compter sur les centrales thermiques fossiles, les seules solutions connues aujourd’hui sont les biocarburants et le biogaz, dont la ressource doit être précisément évaluée, ou l’hydrogène.
4) développement du réseau. Pour atteindre de hautes parts d’énergies renouvelables dans le mix électrique, les réseaux électriques devront être développés et adaptés de manière importante. Les réseaux de distribution sont en première ligne et RTE-AIE jugent que leur exploitation va devenir très compliquée, pour ne pas dire incontrôlable, en cas de décentralisation poussée du système. Le réseau de grand transport devra également être renforcé, comme le montre le cas de l’Allemagne. En novembre 2019, France Stratégie a publié un document de travail sur l’avenir du réseau de distribution d’électricité qui instruisait quelques défis principaux : les batteries sont encore chères pour les applications stationnaires, le pilotage de la demande fait face à des problèmes techniques de définition de protocole généralisé (Internet des objets), institutionnels (tarification), rentabilité et surtout de cybersécurité. Au-delà de la faisabilité technique, les conséquences économiques, environnementales et sociales des différents scénarios doivent encore être évaluées.