L’Energy Transitions Commission (ETC) est une coalition de plus de 45 dirigeants du monde entier, issus de différents secteurs liés à l’énergie. Elle rassemble à la fois des producteurs d’énergie, des industries à forte consommation d’énergie, des fournisseurs d’équipements, des acteurs financiers et des ONG environnementales, parmi lesquels : ArcelorMittal, Bank of America, BP, le Centre National de Recherche et de Développement chinois, la BERD, HSBC, Iberdrola, Ørsted, Shell, Tata Group, Volvo Group et l’Institut des Ressources Mondiales (World Resources Institute). ETC publie deux nouveaux rapports qui analysent les moyens de parvenir à une économie neutre en émission de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2050 ! Herméneutique.
Les deux rapports publiés par ETC définissent les actions à mettre en œuvre au cours de la prochaine décennie pour atteindre l’objectif d’une économie neutre en émission de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2050. L’électrification zéro-carbone est au cœur de cette transformation majeure, rendue possible par la baisse accélérée des coûts de production des énergies renouvelables ; l’hydrogène est appelé aussi à jouer un rôle complémentaire dans des secteurs difficiles ou impossibles à électrifier.
Deux rapports étayés
Le premier rapport, intitulé « Faire de l’électrification propre une réalité : 30 ans pour électrifier l’économie mondiale » expose pourquoi il est primordial, mais aussi parfaitement réalisable et abordable, de multiplier par 5 la taille actuelle du réseau électrique mondial, tout en effectuant une transition vers un approvisionnement en électricité à base d’énergies renouvelables.
Le second rapport intitulé « Faire de l’économie de l’hydrogène une réalité : Accélérer le développement de l’hydrogène propre dans une économie électrifiée » définit le rôle complémentaire que l’hydrogène zéro-carbone est amené à jouer dans cette transition. Ce rapport décrit l’ensemble des moyens à mettre en œuvre, associant politiques publiques et acteurs du secteur privé, pour accroître la production et l’utilisation de l’hydrogène zéro-carbone et atteindre ainsi un objectif de 50 millions de tonnes d’ici 2030.
La neutralité carbone est possible à l’horizon 2050
On se souvient que l’Accord de Paris sur le climat engageait les pays du globe à limiter l’élévation du réchauffement climatique à moins de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels et, parallèlement, à s’efforcer de ne pas augmenter de plus de 1,5°C la température moyenne de la planète. Pour atteindre cet objectif, les pays du monde doivent atteindre zéro émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici le milieu du siècle. ETC a établi qu’une économie mondiale neutre en émissions carbone était techniquement et économiquement réalisable d’ici les trente prochaines années. Une profonde transformation du système énergétique planétaire se profile ainsi devant nous, avec une économie mondiale zéro-carbone, reposant sur un approvisionnement en électricité renouvelable abondant et bon marché.
Le rythme de déploiement des énergies renouvelables multiplié par 5 à 7 d’ici 2030
L’électricité pourrait ainsi représenter jusqu’à 70 % de la demande finale d’énergie d’ici 2050, contre 20 % aujourd’hui ; et la consommation totale d’électricité devrait atteindre, au cours des prochaines décennies, 5 fois son volume actuel. Cette transition vers l’électricité zéro-carbone, devenant la principale source d’énergie finale, représente le moyen le moins coûteux et le plus efficace pour décarboner l’économie mondiale. Selon ces rapports, la baisse drastique des coûts de production des énergies renouvelables et des solutions de stockage permet désormais d’envisager une expansion massive des systèmes électriques zéro-carbones à faible coût. Néanmoins, la part du solaire et de l’éolien, qui représente aujourd’hui 10 % de la production totale d’électricité, doit nécessairement passer à environ 40 % d’ici 2030 et à plus de 75 % d’ici 2050. C’est pourquoi le volume d’installations éoliennes et solaires annuelles doit être multiplié par un facteur 5 à 7 par rapport à aujourd’hui d’ici 2030, et par plus de 10 d’ici 2050. Ces dispositifs doivent parallèlement s’accompagner du déploiement d’autres technologies de production zéro-carbone (comme l’hydroélectricité et le nucléaire). Mais ils doivent également être associés à des solutions de gestion flexible de la consommation électrique et de stockage d’énergie, ainsi qu’à des réseaux de transport et distribution propres à alimenter des systèmes électriques zéro-carbone à grande échelle.
Plus de 80 000 milliards de dollars d’investissements au cours des 30 prochaines années
L’Energy Transitions Commission (ETC) soutient que cette perspective est incontestablement à notre portée, si des stratégies de décarbonation claires et transparentes sont mises en place à l’échelle des états, et si ces stratégies intègrent une réforme du marché de l’énergie à même de débloquer des flux de financements privés. Les investissements dans les énergies renouvelables, principalement dans l’éolien et le solaire, représenteront la grande majorité (environ 80 %) du total des investissements nécessaires pour parvenir à une économie totalement décarbonée. Plus de 80 000 milliards de dollars d’investissements seront ainsi nécessaires à travers le monde au cours des 30 prochaines années, ce qui représentera une moyenne d’environ 2 500 milliards de dollars d’investissements par an. Ces données comprennent à la fois les investissements engagés dans la production d’énergies renouvelables pour soutenir l’électrification directe et indirecte, mais également les investissements consacrés aux infrastructures des réseaux de transport et de distribution d’électricité. Cet effort peut paraître important, mais il représente moins de 1,5 % du PIB mondial. Il est donc parfaitement réalisable dans le contexte macro-économique actuel.
Les coûts de production d’hydrogène propre ramenés bien en dessous de 2 $ /kg d’ici 2030
L’hydrogène jouera un rôle complémentaire dans la décarbonation des secteurs où l’électrification directe est technologiquement difficile, sauf à un coût prohibitif, comme dans la production d’acier et le transport longue distance. On estime qu’une économie neutre en émissions de gaz à effet de serre devra probablement utiliser environ 500 à 800 millions de tonnes d’hydrogène propre par an au milieu du siècle, ce qui représente 5 à 7 fois la consommation actuelle d’hydrogène. Grâce à la baisse des coûts de production de l’électricité renouvelable et des équipements d’électrolyse, l’hydrogène vert, qui est produit par électrolyse de l’eau, est appelé à devenir le plus compétitif en termes de coûts, et donc à constituer la principale filière de production d’hydrogène à long terme. Il pourrait ainsi représenter environ 85 % de la production totale d’hydrogène d’ici 2050. Il n’en demeure pas moins que l’hydrogène bleu, qui lui est produit à partir de gaz naturel avec captage du carbone (avec un taux de captage supérieur à 90%) et de faibles fuites de méthane (< 0,05 %), est aussi amené à remplir un rôle important durant une période de transition et particulièrement dans certaines régions qui bénéficient d’un approvisionnement en gaz naturel à très faible coût.
85 % des investissements nécessaires pour accélérer la production d’hydrogène vert sont liés à la fourniture d’électricité renouvelable
Le rapport souligne à quel point la croissance rapide de la production et de l’utilisation de l’hydrogène est primordiale pour réduire les coûts de fabrication (ramenant par exemple les coûts de l’hydrogène vert en dessous de 2 $ / kg). Il explique pourquoi une montée en puissance dans les années 2020 est nécessaire pour rendre réalisables les objectifs de croissance du secteur de l’hydrogène pour 2050. Quoi qu’il en soit, même si l’hydrogène vert devient moins cher que l’hydrogène gris (haut-carbone), son utilisation dans différents secteurs de l’industrie et des transports continuera de représenter un surcoût, par rapport aux technologies actuelles basées sur les énergies fossiles. L’accompagnement des politiques publiques est donc capital pour accélérer l’adoption de l’hydrogène propre dans ces secteurs. Parallèlement, les décideurs publics et privés devront également anticiper les besoins croissants en termes de transport et de stockage de l’hydrogène. Au total, 85 % des investissements nécessaires pour accélérer la production d’hydrogène sont liés à la fourniture d’électricité renouvelable (et sont inclus dans les chiffres d’investissement dans les énergies renouvelables ci-dessus). On estime qu’environ 2 400 milliards de dollars supplémentaires (soit 80 milliards de dollars par an) seront nécessaires d’ici 2050 pour financer les installations de production, de transport et de stockage d’hydrogène.
Échéances critiques d’ici 2030
Lord Adair Turner, président de l’Energy Transitions Commission (ETC), s’est exprimé à ce sujet, en ces termes : « Nous savons que nous disposons désormais des technologies suffisantes pour décarboner complètement la production d’électricité à faible coût. Et nous savons aussi que l’électrification est la clé d’une production d’énergie zéro-carbone pour la majeure partie des économies. D’ici le milieu de ce siècle, même les pays développés les plus riches auront besoin de 2 à 3 fois plus d’électricité qu’aujourd’hui, et les économies en développement de 5 à 10 fois plus. Les gouvernements, les entreprises et les investisseurs doivent désormais reconnaître l’ampleur et les enjeux de la nouvelle révolution industrielle qui s’annonce et les énormes opportunités qu’elle crée ». En ce qui concerne l’électricité, l’Energy Transitions Commission (ETC) recommande que les pays développés soient en mesure d’atteindre un niveau d’émission en CO2 inférieur à 30g/ kWh d’ici le milieu des années 2030 ; les pays en développement doivent se fixer ce même objectif d’ici le milieu des années 2040. Pour atteindre ces objectifs à moyen terme, les actions essentielles à entreprendre au cours de la décennie 2020 comprennent :
- des objectifs nationaux à moyen terme clairs et transparents fixant un cap pour la décarbonation du système électrique et l’électrification de l’économie
- des incitations appropriées et adaptées pour encourager le déploiement des énergies renouvelables à grande échelle, ce qui suppose notamment une réforme du marché de l’électricité pour encourager l’investissement privé, en particulier via le maintien des contrats à long terme et des systèmes d’enchère pour les installations d’énergie renouvelable
- le déblocage de flux financiers destinés à promouvoir l’investissement dans les pays en développement, y compris au moyen de financements publics-privés
- une meilleure anticipation dans la mise en oeuvre des infrastructures réseau et des compétences en gestion de réseaux nécessaires pour gérer une électrification de masse accompagnée d’une décarbonation de la production électrique
- des procédures accélérées d’aménagement et d’autorisation de sites de production électrique pour faciliter les investissements
- le développement des innovations technologiques et commerciales, en particulier pour le stockage de l’énergie sur de longues périodes et pour l’équilibrage du réseau électrique
Les politiques publiques doivent faire en sorte de stimuler la demande d’hydrogène propre
Il convient de citer ici Nigel Topping, l’un des plus fervents défenseurs britanniques de l’environnement lors de la COP26, qui a tenu ces propos : « L’ETC fait la démonstration qu’une décarbonation accélérée du système électrique mondial est non seulement souhaitable, mais qu’elle est aussi réalisable et abordable. L’électrification zéro-carbone constitue le socle de la course pour atteindre zéro émission de gaz à effet de serre, et elle ouvre la voie à la décarbonation d’autres secteurs. L’ETC révèle comment les pays qui définiront des plans stratégiques clairs pour l’électrification et la décarbonation de leur électricité permettront aux entreprises et aux innovateurs de répondre à l’augmentation massive de la demande en électricité zéro-carbone ». Dans le même temps, les politiques publiques doivent faire en sorte de stimuler la demande d’hydrogène propre tout au long de cette décennie 2020, afin d’augmenter les volumes de production pour atteindre 50 millions de tonnes d’ici 2030. Cela exigera une décarbonation accélérée de la production d’hydrogène pour les utilisations déjà existantes. Cela nécessitera également un développement technologique et un déploiement plus rapide que prévu dans les nouveaux secteurs qui se convertissent à l’hydrogène, pour lesquels les technologies sont moins avancées, mais dans lesquels la demande pourrait croître considérablement à l’avenir, comme l’acier, le transport maritime et les carburants synthétiques destinés à l’aviation. Les instruments permettant de réaliser cette croissance anticipée de la demande, tout en soutenant l’augmentation de l’approvisionnement en hydrogène propre, comprennent notamment :
- une tarification du carbone qui incite à la décarbonation dans toute l’économie
- des politiques sectorielles pour faire naître la demande de technologies à faible émission de carbone, accompagnées de mécanismes de soutiens financiers à l’investissement et pour compenser le « surcoût » lié à l’utilisation d’hydrogène
- des objectifs de développement de la fabrication et de l’installation d’électrolyses à grande échelle
- la mise sur le marché de nouvelles technologies (pour la production, le stockage et l’utilisation de l’hydrogène) grâce aux initiatives du secteur privé et au soutien des politiques publiques
- le développement de pôles industriels spécialisés dans l’hydrogène pour pouvoir simultanément produire, stocker, transporter l’hydrogène jusqu’à l’utilisateur final dans un même lieu, tout en réduisant le coût des investissements pour les acteurs concernés
- l’élaboration de normes garantissant la sécurité et la pureté chimique de l’hydrogène ainsi que sa teneur en termes d’émissions de gaz à effet de serre
Lord Adair Turner, président de l’ETC, a déclaré à ce titre : « L’hydrogène vert sera essentiel pour décarboner les secteurs où l’électrification directe est impossible ou trop coûteuse. On peut fabriquer de l’acier sans carbone en utilisant l’hydrogène comme agent de réduction. Pour le transport maritime transocéanique, les navires seront probablement conduits à brûler de l’ammoniaque fabriqué à partir d’hydrogène vert. L’hydrogène lui-même permet de produire de l’électricité, même lorsque le vent ne souffle pas et que le soleil ne brille pas. Au total, à l’échelle mondiale, on devra peut-être produire et utiliser 5 à 7 fois plus d’hydrogène qu’aujourd’hui, et il n’y a pas d’obstacles majeurs pour y parvenir. Mais un fort soutien des politiques publiques associé à des investissements privés visionnaires seront nécessaires pour stimuler la croissance de l’hydrogène propre au rythme qui devient désormais nécessaire ».
Agustin Delgado, directeur de l’innovation et du développement durable chez Iberdrola, est également de cet avis : « L’hydrogène vert fabriqué à partir d’électricité renouvelable sera le meilleur complément à l’électrification massive pour déboucher sur un secteur énergétique durable et décarboné. Cela créera des opportunités d’investissement et des emplois qualifiés, tout en rendant notre économie plus propre et plus compétitive. Des engagements politiques pour accélérer cette nouvelle économie sont nécessaires et seront la source d’avantages économiques et environnementaux de taille dans les années à venir».
Consultation des rapports
Le premier rapport « Faire de l’électrification propre une réalité : 30 ans pour électrifier l’économie mondiale » est consultable dans sa version intégrale (et dans une version française courte) à l’adresse :
www.energy-transitions.org/publications/making-clean-electricity-possible/
Le second rapport « Faire de l’économie de l’hydrogène une réalité : Accélérer le développement de l’hydrogène propre dans une économie électrifiée » est consultable dans sa version intégrale (et dans une version française courte) à l’adresse :
www.energy-transitions.org/publications/making-clean-hydrogen-possible/