Note par Maître François Ferrari, Avocat associé ACTAH et Maîtres Xavier Marchand et Jérôme Michel, Avocats associés FRANKLIN
Les dispositions contestées
◼ Etat au 21 décembre 2021
L’amendement n° II-336 opportunément avait été déposé par le Gouvernement le 7 novembre 2020 dans le cadre de l’examen du projet de loi de finance pour 2021 visant à insérer un article 54 sexies dont le texte est le suivant :
Le tarif d’achat de l’électricité produite par les installations d’une puissance crête de plus de 250 kilowatts utilisant l’énergie radiative du soleil moyennant des technologies photovoltaïques ou thermodynamiques est réduit, pour les contrats conclus en application des arrêtés du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l’article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, à un niveau et à compter d’une date fixés par arrêté des ministres chargés de l’énergie et du budget de telle sorte que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l’installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n’excède pas une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation. La réduction du tarif tient compte de l’arrêté tarifaire au titre duquel le contrat est conclu, des caractéristiques techniques de l’installation, de sa localisation, de sa date de mise en service et de ses conditions de fonctionnement.
Sur demande motivée d’un producteur, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie, fixer par arrêté conjoint un niveau de tarif ou une date différents de ceux résultants de l’application du premier alinéa, si ceux-ci sont de nature à compromettre la viabilité économique du producteur, sous réserve que celui-ci ait pris toutes les mesures de redressement à sa disposition et que les personnes qui le détiennent directement ou indirectement aient mis en œuvre toutes les mesures de soutien à leur disposition, et dans la stricte mesure nécessaire à la préservation de cette viabilité. Dans ce cas, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent également allonger la durée du contrat d’achat, sous réserve en outre que la somme des aides financières résultant de l’ensemble des modifications soit inférieure à la somme des aides financières qui auraient été versées dans les conditions initiales. Ne peuvent se prévaloir du présent alinéa les producteurs ayant procédé à des évolutions dans la structure de leur capital ou dans leurs modalités de financement après le 7 novembre 2020, à l’exception des mesures de redressement et de soutien susmentionnées.
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie, précise les modalités d’application du présent article. Malgré l’opposition du Sénat, alerté par les producteurs du bouleversement induit par cette modification en cours de contrat de tarifs pourtant réputés fixés de manière irrémédiable, l’Etat a préféré renier sa parole. L’Assemblée Nationale a donc adopté le 17 décembre 2021 un projet de loi reprenant les dispositions disputées.
Ce projet a été porté à la connaissance du Conseil constitutionnel les 17 et 18 décembre 2020 par 60 sénateurs puis 60 députés. Le texte de ces saisines n’est pas encore disponible mais il très probable que l’opposition marquée par les sénateurs à la remise en cause du sort de 849 contrats en métropole et 208 en zones non interconnectées les a conduits à soumettre ces difficultés au Conseil constitutionnel qui rendra son avis dans les prochains jours.
La présente note vise à préciser les moyens d’actions et de recours ouverts aux producteurs dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel ne censurerait pas cette disposition.
◼ Le mécanisme mis en place
A ce jour, le régime des contrats d’achats est fixé par les articles L.314-1 et suivants du code de l’énergie, complétés par les articles R. 314-1 et suivants. Ces contrats administratifs (1) sont conclus pour la durée de vie de l’installation, dans la limite des arrêtés conjoints des ministres chargés de l’énergie et de l’économie (2) qui en fixent les conditions financières dans le respect des conditions fixées à l’article L. 314-4, sous la réserve de leur résiliation ou de leur suspension selon les termes contractuels arrêtés lors de sa conclusion (3) . Les conditions financières arrêtées lors de la conclusion sont réputées ne pouvoir être rétroactivement modifiées (4), conformément aux objectifs de stabilité édictés par l’article 6 de la directive du 11 décembre 2018 (5) .
L’article 54 sexies de la loi de finance modifie les critères de l’article L.314-4, avec l’objectif clairement exprimé de réduire le tarif d’achat, alors même que les conditions de fixation de celui-ci restent inchangées : le prix doit être fixé à un niveau assurant « la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l’installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, excède une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation ». Ce texte n’a donc pour seul objet que de répondre aux conditions fixées par le Conseil d’Etat pour autoriser qu’un acte administratif puisse rétroactivement modifier un contrat (6) : seule une loi peut en effet porter atteinte au principe de la non-rétroactivité des actes de l’Administration, pour autant qu’elle répond à un impératif d’ordre public (7).
La loi ne précise pas les conditions dans lesquelles le producteur pourra être indemnisé de la perte ainsi subie, indemnisation qui est en principe de droit et doit prendre en compte les dépenses engagées et que le gain manqué (8) . Elle propose toutefois un mécanisme d’amortissement des « atteinte excessive à des situations contractuelles en cours », conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat (9) , qui semble avoir implicitement vocation à se substituer à toute indemnisation : les propriétaires des centrales de production dont l’équilibre financier est menacé par la modification tarifaire peuvent solliciter une dérogation auprès des ministres chargés de l’énergie et de l’économie.
Les moyens d’action
◼ Recours en annulation
Le Conseil constitutionnel ayant d’ores et déjà été saisi, selon des termes qui ne sont pas encore connus, une intervention a priori est en l’état limitée à la possibilité de fournir aux sénateurs ou députés qui devraient prochainement recevoir les observations écrites du Secrétariat général du Gouvernement. Ceci suppose que les sénateurs et députés concernés soient rapidement identifiés afin de pouvoir, le cas échéant, leur proposer tout argument complémentaire à ceux figurant d’ores et déjà dans les saisines initiales. Les délais devraient cependant être très courts puisque le Gouvernement dispose de la possibilité que le texte soit examiné en urgence, dans un délai de 8 jours (10). A supposer que l’article 54 sexies ne soit pas censuré, il entrera dans l’ordre législatif au jour de la publication de la loi. Son entrée en vigueur effective est toutefois subordonnée à l’édiction d’un décret pris en Conseil d’Etat qui devrait intervenir, selon toute vraisemblance, dans les toutes prochaines semaines. Ce décret pourra être porté à la censure du Conseil d’Etat dans les deux mois de sa publication, pour des motifs tirés de sa non-conformité à la loi, mais également pour des motifs tirés de sa méconnaissance des principes généraux du droit, des traités internationaux et, enfin, de la Constitution elle-même, par la voie de question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Un recours identique pourra être engagé contre les actes d’application de ce décret, et notamment contre le ou les arrêtés tarifaires qui seront pris par les ministres de l’économie ou de l’énergie.
A cet égard, et sans que la liste ne soit exhaustive, le nouveau mécanisme mis en place par l’Etat est susceptible de porter atteinte à différents principes généraux du droit :
− La méconnaissance gouvernant l’application immédiate d’un acte administratif à un contrat en cours,
− La méconnaissance des principes énoncés par l’article 6 de la directive du 10 décembre 2018 (11),
− La méconnaissance du principe de l’égalité (12), en fonction des critères de prix qui seront retenus dans le décret à intervenir et de ceux qui permettront, pour certains producteurs, d’obtenir une dérogation
− La méconnaissance du principe du droit à indemnisation (13) en cas de modification des contrats administratifs (14).
◼ Demande de dérogation
Les conditions d’accueil de cette demande restent à déterminer. Elles seront très limitées puisque le texte de loi entend strictement en limiter l’accès et l’ampleur à ceux qui auront pris « toutes » les mesures de redressement et que les personnes qui les détiennent directement ou indirectement aient mise en œuvre « toutes » les mesure de soutien. Investisseurs, banquiers, assureurs, seront donc fortement sollicités, sans que la question de la légitimité de leur refus ne puisse être véritablement appréciée au regard des motifs d’intérêt général évoqués par l’Etat. S’il est vraisemblable que très peu de producteurs seront éligibles à cette dérogation, le dépôt d’une telle demande sera, de jure ou de facto, un préalable nécessaire à l’introduction d’une demande indemnitaire.
◼ Indemnisation des conséquences à intervenir
La modification tarifaire n’entrera concrètement en vigueur qu’à l’issue de l’avenant qui devra être conclu entre le producteur et EDF. La voie de l’annulation de l’avenant lui étant fermée (15), l’introduction d’un référé-suspension sera nécessaire pour contester utilement l’avenant, sur le fondement de la méconnaissance par EDF des principes susvisés.
Les chances de recours contre l’avenant lui-même seront toutefois à apprécier au regard de la jurisprudence actuelle du Conseil d’Etat qui a en effet jugé que les clauses du contrat d’achat d’électricité solaire reprenaient pour la plupart des dispositions règlementaires, ce qui avait pour effet de supprimer toute liberté contractuelle pour EDF (CE, 22 janvier 2020, n° 418737) (16). Cette action reste toutefois un préalable nécessaire à l’introduction d’un recours indemnitaire.
◼ Indemnisation des conséquences à intervenir
Chaque producteur pourra solliciter l’indemnisation du préjudice subi du fait de la baisse organisée par les textes légaux et réglementaires, ou l’avenant, pour autant toutefois qu’il en démontre illégalité, à défaut le caractère spécialement et gravement préjudiciable à ses intérêts légitimes. C’est donc au regard du préjudice spécial qu’il subit que le producteur pourra rechercher la responsabilité de l’Etat du fait de la modification ordonnée qui a pour effet d’entraîner une baisse de la rémunération qui lui était en principe acquise (17), la loi n’écartant pas à ce stade une telle demande. Une telle demande serait en revanche impossible si la loi devait expressément écarter cette option (18), sauf naturellement à ce que la loi soit jugée inconstitutionnelle par le biais d’une QPC (19) ou contraire au droit européen (20). La volonté de l’Etat de réduire des dépenses jugées excessives laisse envisager une résistance marquée à tout indemnisation qui conduirait à anéantir les gains escomptés. La saisine des juridictions européennes doit donc être envisagée.
Le succès de ces différentes actions nécessite des compétences croisées en droit de l’énergie, en droit financier, en droit public et en droit européen, une connaissance sectorielle des différents acteurs du marché de l’énergie, qu’ils soient privés ou publics, et une capacité organisationnelle permettant de traiter avec une égale qualité de service plusieurs centaines de dossiers.
Forts d’une longue expérience de soutien à la filière et d’intervention à ses côtés auprès des acteurs publics, les Cabinets d’avocats ACTAH (Bordeaux, Béziers) et FRANKLIN (Paris), ont uni leurs compétences, connaissances, réseaux, moyens humains et techniques, pour offrir aux producteurs et aux associations la maîtrise globale et ordonnée de l’ensemble des questions juridiques qui gouvernent l’issue du différend qui les opposera à l’Etat, et un traitement individualisé de chacun des dossiers tout au long des procédures amiables ou contentieuses qu’ils souhaiteront mettre en œuvre pour préserver leurs intérêts.
1 - Sous la réserve du maintien de la qualification de contrats de droit privé pour certaines catégories ; cf. supra
2 - R. 314-12 du code de l’énergie
3 - L. 314-7 du code de l’énergie
4 - R. 314-12-1 du code de l’énergie
5 - Directive (UE) n° 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables ; cette directive doit être transposée avant le 30 juin 2021
6 - CE, 24 mars 2006, n° 288460 ; CE, 8 avril 2009, n° 271737
7 - Un motif économique ou budgétaire constitue un tel motif : CE, 23 mai 2011, n° 328525
8 - CE, 18 novembre 1988, n° 61871 ; CE, 16 février 1996, n° 82880
9 - CE, 24 mars 2006, n° 288460 Tout ceci reste toutefois imprécis, les modalités spécifiques de mise en œuvre de ces dispositions étant renvoyées à un futur décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie.
10 - Article 61, alinéa 3 de la Constitution
11 - Les tribunaux nationaux peuvent annuler une décision en raison de la violation virtuelle que constitue la méconnaissance d’une directive dont le délai de transposition n’est pas encore expiré, dès lors que la violation sera acquise au jour de la transposition et qu’elle compromet donc sérieusement la réalisation de l’objectif poursuivi (CJCE, 18 décembre 1997, Aff. C-129/96 ; CE, 10 janvier 2001, n° 217237)
12 - CE, 12 avril 2012, n° 337528
13 - CAA Paris, 17 octobre 2011, n° 10PA0059 ; CAA Douai, 4 avril 2019, n° 17DA02401
14 - Certains contrats demeurent toutefois des contrats de droit privé (pour ceux faisant l’objet d’une instance en cours au 14 juillet 2010 : Trib. Conf., 13 décembre 2010, n° 3800 ; Trib. Conf., 5 mars 2012, n° 3843)
15 - CE, 15 novembre 2017, n° 402794
16 - A noter toutefois une certaine résistance de la cour de Marseille sur la portée de cette solution : CAA Marseille, 22 juin 2020, n° 17MA00859.
17 - CE, 14 janvier 1938, Rec. 25
18 - CE, 22 novembre 1957, n° Rec. 635)
19 - CE, 24 décembre 2019, n° 425981, 425983, 428162
20 - CE, 8 février 2007, n° 279522 UNE EQUIPE AU SERVICE DES PRODUCTEURS