Par Frédéric Baralon, Senior Market Development Manager chez Wärtsilä Energy Business
L’Afrique a le potentiel de devenir un des prochains gagnants de l’économie mondiale, avec plusieurs pays africains enregistrant une forte croissance économique durant ces dernières années. Cependant, pour qu’un avenir meilleur puisse s’écrire, la modernisation du système d’approvisionnement et de distribution de l’énergie sur le continent reste une question clé.
En 2017, la NASA a publié une série d’images satellites nocturnes de la Terre. Les images illustrent l’énorme disparité intercontinentale en matière d’éclairage. Dans le cas de l’Afrique, le manque de lumière reflète une réalité qui donne à réfléchir : plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité, et encore plus n’ont accès qu’à une électricité chère et intermittente. En Afrique du Sud, les blackouts (pannes de courant massives) et les baisses de tension (chutes de tension du système électrique) ne sont pas inhabituelles. Au Zimbabwe, les habitants ne peuvent compter que sur 8 heures d’électricité par jour depuis mars 2019 ! Bien qu’il existe des différences majeures entre les pays, le continent dans son ensemble a un énorme besoin d’électrification.
Un problème complexe
Les défis de l’Afrique en matière d’électricité sont d’autant plus marquants si l’on considère le fait que l’économie africaine est en croissance constante. Les données de la Banque africaine de développement montrent que le PIB du continent a atteint 3,5% en 2018 et devrait atteindre 4,1% en 2020, un chiffre qui pourrait être revu à la baisse en raison de la crise sanitaire. De même, les données du programme d’attractivité d’Ernst & Young pour l’Afrique (2019) montrent que les investissements directs étrangers (IDE) sur le continent sont restés largement stables. En 2018, 710 projets ont attiré 75,5 milliards de dollars de capitaux et créé 170,000 emplois, un sommet en cinq ans.
Alors pourquoi, malgré cela, de grandes parties de l’Afrique sont-elles encore privées d’un accès basique à l’énergie ? Tout simplement parce que l’offre n’a pas suivi le rythme de la demande. Cela est dû à un certain nombre de facteurs, comme la croissance démographique et l’urbanisation rapide, les coûts élevés de la production électrique existante et l’incapacité à réaliser les investissements nécessaires.
En effet, le continent africain a le taux d’urbanisation le plus rapide au monde. On prévoit que d’ici 2040, plus de la moitié de la population africaine vivra dans les zones urbaines. Cependant, les infrastructures de soutien – y compris les réseaux électriques – n’ont pas suivi le rythme, que ce soit au niveau des capacités de production mais aussi du réseau de distribution. De ce fait on observe de nombreuses perturbations du réseau électrique.
Les coûts d’exploitation des services publics nationaux constituent également un défi, car bien souvent, les coûts de production sont plus élevés que ce qui peut être facturé légalement aux consommateurs. En conséquence, ils doivent être continuellement subventionnés, ce qui va à l’encontre d’une logique de créer un marché de l’électricité pérenne. De plus, l’augmentation des prix n’est pas une solution viable, car cela pourrait miner la profitabilité des industries, le budget des ménages et ne permettrait pas une croissance économique saine. D’autant que le prix approximatif de l’énergie est déjà deux à trois fois plus élevé en Afrique qu’en Europe, alors que dans le même temps, le pouvoir d’achat de la population est nettement inférieur. Ce phénomène conduit naturellement à une situation de blocage.
L’option des énergies renouvelables
Grâce à leurs ressources naturelles et aux nouvelles technologies, en particulier les énergies renouvelables, de nombreux pays africains ont toutefois une nouvelle opportunité pour poursuivre un développement durable. En effet le continent dispose d’un gigantesque potentiel de ressources solaires, éoliennes, ou hydrauliques. A titre d’exemple, le bassin du Congo dispose à lui seul d’un potentiel hydroélectrique suffisant pour alimenter l’ensemble du continent africain.
De manière générale, l’optimisme quant à l’avenir du secteur énergétique africain est justifié. Comme pour le secteur de la téléphonie, le continent pourrait effectuer un bond en avant, en mettant directement en place les nouvelles technologies disponibles sur le marché. De la même manière que pour le secteur des télécoms, où les téléphones portables se sont directement imposés sans passer par les lignes fixes, l’Afrique pourra se tourner vers les renouvelables sans avoir eu à se doter d’abord d’une grande capacité fossile ou de lourdes infrastructures de transport.
Des solutions d’énergies renouvelables décentralisées peuvent rapidement être mises en place, accompagnées de capacités de stockage limitant les coûts d’infrastructure de transport et de solutions thermiques flexibles pour gérer l’intermittence et soutenir la stabilité des réseaux. Le gaz naturel, présent dans de nombreux pays, va jouer un rôle prépondérant dans ce développement.
Cette stratégie énergétique, qui a déjà commencé à être appliquée, va probablement s’accélérer sachant que les investisseurs publiques ou privés s’éloignent de plus en plus des projets de production d’électricité à base d’énergies fossiles, au profit de solutions produisant moins de CO2. Les énergies renouvelables vont représenter 75% des nouveaux moyens de génération, la question clé étant de savoir à quelle vitesse elles vont croître.
15 GW de solaire par an jusqu’en 2040
D’autre part, l’Afrique a besoin d’une intensification significative des investissements dans le secteur de l’électricité, que l’on estime à environ 120 Milliards de US$ d’ici à 2040. A titre d’exemple, le déploiement solaire devrait se situer à près de 15 GW par an sur cette période. Le développement de cadres réglementaires adéquats ainsi que le renforcement du secteur financier africain, seront essentiels pour assurer un flux soutenu de financement à long terme des projets énergétiques.
Enfin, la diminution constante du prix des énergies renouvelables à l’échelle mondiale va entrainer une modification profonde des systèmes énergétiques, en utilisant les énergies renouvelables comme production de base, en complément des solutions thermiques apportant une grande flexibilité pour gérer l’intermittence et la saisonnalité des renouvelables.
Pour une vision à long terme
Selon de nombreux rapports, d’ici 2050 le solaire photovoltaïque pourrait représenter plus de 50% de la production électrique totale en Afrique. Le continent tirera ainsi plein parti de ses considérables ressources solaires et de la baisse continue des prix des équipements photovoltaïques et des systèmes de stockage d’énergie par batterie.
Les choix énergétiques d’aujourd’hui engagent sur des décennies. C’est pourquoi les stratégies d’électrification doivent s’envisager sur le très long terme ; les énergies renouvelables fournissant une électricité bon marché dont la production doit être maximisée autant que possible. Mais le mix énergétique se doit aussi d’intégrer dès à présent les contraintes intrinsèquement liées aux énergies renouvelables, qui sont leur intermittence et leur saisonnalité.
Pour répondre à ces contraintes, le gaz naturel, qui est flexible et facilement distribuable, devient un allié précieux. Au travers des dernières découvertes de nombreux gisements gaziers sur le continent, l’Afrique devient un acteur majeur sur les marchés du gaz naturel en tant que producteur, consommateur et exportateur. Le gaz naturel va donc devenir le carburant prépondérant dans le mix énergétique. Ces nouvelles capacités thermiques vont répondre à un besoin crucial de flexibilité, en offrant une rapidité du temps de réponse et de montée en charge, et d’évolutivité en permettant de changer de carburant.
L’intégration de l’ensemble de ces solutions énergétiques permettra à terme un accès à l’électricité au plus grand nombre tout en réduisant les coûts de production du KWh et en améliorant la fiabilité du système énergétique.
De nombreux scénarios sont envisageables quant à l’avenir énergétique de l’Afrique, cependant les choix politiques doivent emmener les pays vers des solutions durables et inclusives pour accélérer le développement social, industriel et économique. Les nouvelles technologies, le dynamisme du secteur énergétique africain, et la demande croissante soutenue à long terme, sont autant de points positifs pour le développement d’un système énergétique fiable dans de nombreux pays africains.
A propos de l’auteur
Frédéric Baralon est Senior Market Development Manager chez Wärtsilä Energy Business. Il est en charge des relations avec les différentes parties prenantes du domaine de l’énergie en Afrique, du suivi de l’évolution du marché et de la modélisation du marché de l’électricité pour optimiser les capacités supplémentaires et LCOE. Avec son équipe, il joue un rôle clé dans le développement des stratégies Energy Business en Afrique telles que l’évaluation du potentiel de nouveaux marchés et le développement de partenariats stratégiques dans la région.