Christophe Gurtner, était l’invité de Stéphane Soumier sur la toute nouvelle chaîne d’information économique « B Smart ». Voici la transcription de son interview
Stéphane Soumier: Allez on va repartir on va repartir avec ce qui est un des enjeux, enjeu d'ailleurs qui est aussi au cœur des réflexions européenne, au cœur des programmes européens, on va parler des batteries. La fameuse Europe des batteries. Christophe Gurtner, il est le PDG de « Forsee Power ». Ah ! J'ai oublié de vous demander Christophe mais si vous le donner c'est quoi le chiffre d'affaires, je voudrais donner une dimension de la taille de « Forsee Power » qui fait alors tout type de batterie d'ailleurs.
Christophe Gurtner: ce sont des chiffres qu'on ne diffuse pas encore on est en dessous de 100 millions, mais pas trop loin.
SS : D’accord plusieurs dizaines de millions de chiffre d’affaire. Parce que vous ne faites pas l'automobile ?
CG : non et ça c'est un positionnement déterminée clair on ne veut pas se positionner sur la
voiture particulière. On laisse ce débat aux fabricants de voitures et aux fabricants l'accumulateur d’un autre côté. Nous avons des produits un peu plus techniques, en séries un peu moins grandes, plus importants, véhicules lourds essentiellement. Ça c'est notre positionnement et on a un autre positionnement sur un marché peut-être un peu original, ce sont les véhicules légers, les deux roues, les trois roues et quatre roues légers
SS : j'ai vu une adorable batterie pour des scooters ?
CG : on en fait beaucoup effectivement.
SS : Mais scooters 50 centimètres cubes aujourd'hui…
CG : Équivalents ou plus gros…
SS : Je ne sais pas chez Peugeot, ils m’ont dit qu’ils n’y avaient pas de marché pour du 125 électriques ou de l'équivalent
CG : Ça commence
SS : C'est également une question de performance et de coût de batterie
CG: aujourd'hui ça se développe, le marché se développe avant tout en Asie et en Inde et c'est d'ailleurs là où se trouvent nos plus gros clients. En Chine, en Inde, en Asie du sud-est, au Japon, c'est vraiment là où se trouve le développement de ce marché.
SS : Vous êtes un groupe français mais vous êtes installés partout. Enfin il y a trois gros sites de production c'est bien ça Christophe ?
CG : Oui, il y a trois sites, en Chine et y en a un en Pologne et en France.
SS : Vous dites la chine c'est pour le marché local chinois ?
CG : c'est pour le marché asiatique. C'est à dire que nous servons le marché chinois et le marché asiatique, à partir de l’usine chinoise. Nous servons le marché européen à partir de l’usine française.
SS : On nous dit qu’il y a aujourd'hui un enjeu industriel. C’est identifié, alors pour l'automobile, mais à un moment voilà c'est identifié comme un des enjeux industriels les plus importants pour l'avenir est sans doute pour l'Europe ? Parce que l'Europe nous dit : on est totalement désarmé en fait dans cette bataille des batteries. C'est quoi aujourd'hui « Forsee Power » donc en France, en Pologne, en Chine, conçoit, développe, assemble fabrique, on peut dire fabrique ?
CG : Oui bien sûr, nous sommes à un groupe industriel d’un peu moins de 600 personnes, 60% de nos salariés fabriquent, sont dans des usines en France, beaucoup de salariés une centaine de salariés sont en recherche développement donc on est vraiment une boîte de développement une boîte de fabrication et d'industrialisation de batteries.
SS : Quelle est la dépendance vis-à-vis de la Chine ? Parce qu’il y a quand même des guerres commerciales qui montent, et après on pourrait peut-être l'étendre à l'Asie. Mais vis-à-vis de la Chine, qu'elle est la dépendance aujourd'hui ? Est-ce que vous pouvez vous en passer totalement ? Est-ce que qu'on peut faire une batterie sans que rien dans la batterie nous viennent de Chine ?
CG : Oui, mais pas dans le domaine de la voiture particulière, nous même l'essentiel de nos fournisseurs sont coréens et japonais. Donc on se passe très largement de la Chine, en revanche pour les voitures particulières ou pour les objets grand public qui utilisent des batteries, l'essentiel de ces batteries-là sont faits en Chine.
SS : Pourquoi ?
CG : Et bien simplement parce que la Chine a monté cette filière là il y a une quinzaine d'années, une vingtaine d'années. Il fallait investir jusqu'à une dizaine d'années, aujourd'hui aussi fait encore investir, mais c'était le moment où cette industrie-là émergeait. Elle a émergé au Japon il y a trente ans, en Corée y a vingt ans, en Chine y a dix, quinze ans. A ce même moment l'Europe s'est désarmée et donc effectivement aujourd'hui, avec beaucoup de retard, revenir dans un marché qui n'est pas mature mais qui s'est déjà établit, c'est extrêmement compliqué.
SS : Mais donc c'est juste une question d'efficacité industrielle ?
CG : C’est une double question. C'est une question de recherche développement. Quand vous avez accumulé des dizaines de milliers de brevets, pendant des années, vous avez un avantage. Lorsque vous avez une capacité de production installée - aujourd'hui la batterie est une industrie – il faut beaucoup l'usines, des usines qui coutent extrêmement cher vous avez un avantage, et lorsque vous avez une base établie de clients à travers le monde, vous avez un troisième avantage. Donc si vous êtes un nouveau venu sur le marché, repartir d'une feuille blanche et dire « je vais conquérir le monde » ce n’est presque pas possible. Mais c'est comme ça dans toutes les industries.
SS : Il y a un gars qui s'appelle Elon Musk et qui en train de le dire quand même…
CG : C'est une rupture dans le domaine de la voiture effectivement. Ce n’est pas la batterie sa révolution, en fait il est appuyé sur une technologie Panasonic qui est un groupe japonais. En revanche il a pensé la voiture ex nihilo d'une feuille blanche, électrique…
SS : Sa réflexion a commencé sur les batteries en fait avant d'aller sur l'automobile et toitures etc… sa réflexion a commencé sur des batteries…
CG : En fait sa réflexion était de dire aujourd'hui les fabricants établis qui travaillent sur une base de moteur à combustion qui font ça depuis un siècle ne vont pas pousser l'électrique or l'électrique est possible. Et lui s'est dit je n’ai pas de base installée, je n'ai pas d'usine à gérer ou à sauvegarder, je vais partir d'une feuille blanche, je vais créer un véhicule électrique, la batterie ça marche donc je vais vous le démontrer. Il a fait ça avec beaucoup d'astuces, beaucoup de savoir-faire, beaucoup d'innovations, l'innovation souvent est dans le design et l'innovation et dans le logiciel, c'est une voiture complètement connectée si vous voulez et c'est comme ça qu'il a réussi à faire sa place au soleil…
SS : Si on revient sur ex nihilo « Forsee Power », taille à peu près comparable, peut-être que je dis une énormité, mais je ne crois pas, à Saft qui a été racheté par Total maintenant, qui était l'autre industriel de la batterie…
CG : On est plus dans les mêmes métiers, Saft est aujourd'hui une société importante significative dans le métier de la batterie mais dans des niches tout à fait particulières, le spatial, l'aéronautique la défense etc…
SS : Est-ce qu’il y a des niches de batteries partout…
CG : …d'énormes niches de batteries. Alors ces niches ont une certaine taille Saft vit sa vie dans ces marchés là et nous nous sommes positionnés sur les véhicules routiers, les bus, les camions, les trains, les bateaux, et l'autre côté les scooters. Donc on n'est pas sur les mêmes marchés et dans ce positionnement-là aujourd'hui on est si ce n'est unique, en tout cas on est une référence en Europe effectivement.
SS : Mais est ce qu'on peut continuer à avancer et à tracer la route que vous tracez avec des moyens qui restent des moyens limités ? Quand vous me dites les chinois sont capables à un moment d'investir des dizaines de milliards, de déposer des milliers de brevets allons-y et vitrifiez le marché…
CG : Vous avez tout à fait raison, mais c'est là il faut segmenter, l'accumulateur, la batterie en fait on parle d'un accumulateur, l'accumulateur c'est de l'industrie lourde avec de l'électrochimie, de la recherche développement et de l'industrialisation, ce sont des capitaux monstrueux mais l'accumulateur devient une commodité et aujourd'hui s'attaquer à ce marché de la commodité avec 10-15 ans de retard, il ne faut pas le faire c'est pas du tout ce que nous faisons. Nous on est sur l'ingénierie système. Il y a au moins autant de savoir-faire…
SS : …ce dont vous parlez, les accumulateurs vous les achetez ?
CG : on les qualifie et on les achète. On a des dizaines de fournisseurs dans le monde. Je viens de regarder à l'instant, il y a une vingtaine de fournisseurs significatif en Chine. On travaille peu avec eux, on travaille avec 3 ou 4 coréens, on travaille avec des japonais, vous avez une potentialité de fournisseurs énorme donc vous avez le choix de l'accumulateur. Certes il y a une tension sur le marché du fait du développement de la voiture, mais vous avez dans l'absolu vous avez un choix. Donc on qualifie cet accumulateur qui pour nous devient une commodité à l'intérieur du système et c'est le système dans son intégralité avec toute la partie thermique, mécanique, l’ingénierie système, l'électronique, le logiciel, c'est ça le savoir-faire, ça c'est notre savoir-faire, c'est ça qu'on conçoit et qu'on fabrique ensuite. Aujourd'hui si vous êtes un fabricant de véhicules, vous n'achetez pas un accumulateur, vous achetez un système
SS : ce que vous dites me fait furieusement penser au datacenter. On pense que c'est des calculateurs les uns derrière les autres et plus tu mets de calculateurs est plus tu es efficace. Non en fait il faut dans les connexions, il y a du logiciel…
CG : c’est de la mécanique, de la thermique c'est de l'ingénierie, c’est plein de compétences. En fait il faut pouvoir marier beaucoup de domaines de compétences techniques de les faire travailler ensemble et de leur faire concevoir un système. Quand on parle d'un Airbus effectivement ce n'est pas un composant. Un Airbus et un système et nous faisons la même chose dans le domaine de la batterie.
SS : Bonne image, très bonne image. Est ce qu'il y a un espoir pour l'Europe que de retrouver une souveraineté, je vais le dire comme ça, sur alors peut-être pas les accumulateurs, ok je suis convaincu c'est une commodité, on n’en a peut-être pas besoin, mais en tout cas sur la conception des batteries qui maintenant vont nous accompagner dans l'ensemble de notre vie quotidienne
CG : Bien sûr, d'abord sur la commodité il y a de petites places à prendre. Il n’y a pas de place de leader à prendre, c'est un petit peu tard, mais quand même il y aura toujours certaines places à prendre. Sur le système lui-, la bataille n’est pas jouée…
SS : sur l'accumulateur, comme on l'a vu là avec les masques, ça va être considéré comme quelque chose de stratégique ? On va se dire il faut absolument qu'on est quelque part en Europe les moyens d'en fabriquer ?
CG : le masque est un petit peu plus simple à fabriquer. Mais au final sur le masque aussi et aujourd’hui les gros fournisseurs sont chinois…
SS : A un moment où on est désarmé sur des éléments
CA : Il faut il faut choisir sa bataille, il faut accepter d'en perdre une ou alors d'aller sur des lignes de défense dans certains domaines. Mais en revanche sur le système lui-même, sur l'intelligence, sur le logiciel, cette bataille là il faut la mener. Il faut la mener également sur de nouvelles technologies donc il faut accepter par moment de baisser un petit peu la tête de tenir et d'aller à la prochaine étape. Mais aujourd'hui le marché du véhicule électrique du véhicule lourd électrique est en naissance. Tout est encore à faire, bien sûr aujourd'hui on ne parle pas de cycle court, nous on parle de croissance de 10 à 15 ans et cela donne le temps de se positionner sur autre chose d'abord de croître sur le marché actuel et ensuite de penser aux prochaines générations. Mais il ne faut pas il ne faut pas lever le pied en fait en termes de recherche développement il faut toujours garder des équipes il faut toujours travailler la prochaine génération.
SS : encore une question parce que vous faites un métier effroyablement compliqué dans la mesure où les choix technologiques vous embarquent vous pour plusieurs années mais et peuvent être à un moment démenti par une innovation de rupture qui va surgir je pense à ce qui se passe autour de l'hydrogène par exemple, vous avez tout à coup, un pays en l'occurrence l'Allemagne qui se met à investir massivement sur l'hydrogène…
CG : …la Chine qui investit encore plus on n’en parle
SS : Est-ce que pour vous ça modifie…
CG : Pour nous c'est un champ de développement supplémentaire. En réalité quand on se parle d'hydrogène, souvent on se dit « la batterie va être remplacée par l'hydrogène ». C'est faux le véhicule électrique utilise une batterie, une chaîne de traction, l'hydrogène utilise un système extrêmement complexe avec une pile à combustible, un réservoir, et une batterie. La batterie notamment dans le transport c'est extrêmement intéressant pour les distances courtes ou moyenne. Probablement l'hydrogène un champ de développement sur les distances longues, mais il fonctionne forcément avec une extrêmement bonne batterie, une batterie de puissance. Donc pour nous c'est un débouché complémentaire.
SS : Dernière question quand le l'Union Européenne lance un plan « l'Europe des batteries » avec des sommes qui sont mises en face de l'ensemble de ses plans, combien de temps ça met pour arriver jusqu'à « Forsee Power » et jusqu'aux usines de « Forsee Power » par exemple si vous êtes éligible et vous êtes éligibles et vous êtes forcément éligible ?
CG : On est éligible, mais on ne fera pas d’accumulateurs. La bataille pour nous elle est passée…
SS : …et la bataille de l'Europe des batteries ce sont les accumulateurs…
CG : …alors elle ne devrait pas être la bataille des accumulateurs, nous, c’est la bataille du système et nous-mêmes on bénéficie effectivement aujourd'hui dans une moindre mesure, mais bien largement assez par rapport à nos besoins, on a cette chance c'est qu'aujourd'hui il y a une véritable prise de conscience par rapport à notre industrie, et qu’également on pense au système et donc on apporte le soutien au système donc on ne peut pas se plaindre de l'appui de l'Europe aujourd'hui enfin !
SS : Christophe Gurtner, il est le PDG de « Forsee Power » était invité de B Smart l'émission