Par Antoine Huard (à gauche) et Benjamin Fremaux (à droite).
L’Afrique pourrait voir sa population doubler en trente ans pour atteindre 2,5 milliards d’habitants en 2050. Le développement économique du continent est une nécessité absolue afin d’éviter qu’à cette explosion démographique ne viennent s’ajouter des crises humanitaires et migratoires sans commune mesure avec celles observées ces dernières années.
Ce développement économique est conditionné à un prérequis indispensable : l’électricité. Or le rythme actuel de mise en service de nouvelles capacités de production d’électricité en Afrique est inférieur à celui de la croissance démographique. Par conséquent, le nombre d’Africains dépourvus d’accès à l’électricité (645 millions à ce jour) continuera mécaniquement à augmenter dans les deux prochaines décennies.
Paradoxe africain
La capacité à accélérer le rythme de déploiement de moyens de production d’électricité sera déterminante pour l’avenir de l’Afrique et de l’Europe dont les destins sont indissociablement liés, mais aussi pour la lutte contre le dérèglement climatique : qu’adviendrait-il, en effet, si ces 2,5 milliards d’habitants venaient à recourir massivement à des sources d’électricité fossiles (charbon, gaz, diesel) pour répondre à l’urgence de leurs besoins énergétiques ?
Au regard des conséquences potentiellement catastrophiques d’un tel scénario, les débats récurrents sur la décarbonation du mix énergétique en France ou en Allemagne (respectivement 1,2 % et 2,7 % des émissions mondiales de CO2) ne doivent pas faire oublier que l’avenir du climat se joue aussi, voire surtout, en Chine, en Inde ou en Afrique.
L’Afrique n’a pas réussi sa révolution solaire
Depuis près d’une décennie, les technologies de production électrique photovoltaïque ouvrent de nouvelles perspectives pour électrifier le continent africain sans renoncer aux impératifs climatiques ou économiques. Grâce à la chute du prix des panneaux solaires et des batteries, mais aussi à la simplicité de leur mise en œuvre, cette technologie peut apporter une électricité compétitive, décarbonée, installable rapidement y compris dans des zones rurales isolées. Malheureusement, si l’énergie solaire est aujourd’hui en croissance exponentielle partout dans le monde, l’Afrique reste la grande absente de cette vague de déploiement.
Concurrence faussée et petits projets
Dans la note intitulée « Energie solaire en Afrique : un avenir rayonnant ? », l’Institut Montaigne identifie ainsi plusieurs raisons pouvant expliquer un tel paradoxe. D’une part, en dépit de l’appétit manifeste des investisseurs privés pour le solaire en Afrique, trop de projets continuent à être financés par des dons issus de l’aide publique au développement. Concrétisés dans des conditions financières artificiellement favorables, ils faussent la concurrence et découragent les développeurs privés de poursuivre leurs efforts.
Ces deniers publics seraient mieux employés à financer les initiatives qu’ils sont les seuls à pouvoir porter : construction d’infrastructures de réseaux, réformes des cadres réglementaires propices aux investissements, ou encore mise en place d’outils de garantie couvrant certains risques – notamment politiques – pour attirer davantage de capitaux privés.
D’autre part, le solaire photovoltaïque est une énergie par nature décentralisée, le plus souvent produite par des infrastructures de petite taille. Si cette spécificité est un atout qui lui permet de mieux s’adapter aux réalités de la demande locale et de la capacité des réseaux électriques, elle est aussi un handicap en matière de financement : les projets sont trop petits pour supporter le coût disproportionné de mobilisation des outils fournis par les banques de développement et abondés par les innombrables engagements des différentes COP qui se sont succédé. Ces outils doivent être urgemment repensés et adaptés aux projets solaires.
One Planet Summit
Une voie prometteuse pour surmonter les obstacles identifiés consiste à agréger les projets. A l’initiative du président du Togo, six pays africains ont décidé de jouer un rôle moteur pour y parvenir, en mettant en place un cadre réglementaire commun harmonisé. La troisième édition du One Planet Summit qui s’est déroulée courant mars à Nairobi a été l’occasion de promettre des milliards supplémentaires. Ce n’est qu’en encourageant ce type d’initiative et en ayant préalablement tiré les leçons des échecs passés que l’on pourra mobiliser efficacement ces ressources pour déployer rapidement, à très grande échelle, une énergie décarbonée et économiquement accessible, à la hauteur des immenses défis économiques, démographiques et climatiques du XXIe siècle.
Antoine Huard est directeur international du groupe Générale du Solaire et Benjamin Fremaux est expert associé énergie et climat (« senior fellow ») à l’Institut Montaigne. Tous deux sont auteurs de la note « Energie solaire en Afrique : un avenir rayonnant ? » publiée par l’Institut Montaigne.
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