La politique énergétique française, redéfinie par les objectifs de la loi de transition énergétique pour une croissance verte, est en profonde mutation. La production électrique, aujourd'hui principalement nucléaire, doit se préparer à l'arrêt progressif des plus anciennes centrales nucléaires, tout en intégrant graduellement les énergies de source renouvelable. La production de chaleur doit plus fortement contribuer à l'objectif de décarbonation du mix énergétique français qu'elle ne le fait aujourd'hui et surmonter ainsi le caractère fragmenté de ce secteur qui agrège de multiples décisions individuelles.
Fonds chaleur : des moyens à mettre en cohérence avec les objectifs assignés aux EnR thermiques
En moyenne, sur la période 2009-2016, 214 M€ de fonds chaleur ont été octroyés annuellement par l'ADEME. L'appréciation de la trajectoire du fonds permettant l'atteinte des objectifs de la PPE constitue un exercice délicat de prospective, qui doit prendre en compte les évolutions des prix des énergies fossiles, le niveau de la trajectoire carbone des TICs, mais également des paramètres tels que le niveau du prix carbone sur le marché ETS pour les installations soumises à quotas. Il est cependant très probable que les moyens actuellement octroyés aux EnR thermiques ne permettent pas d'atteindre les objectifs de la PPE.
Celle-ci prévoyait en effet une forte augmentation du budget du fonds chaleur pour atteindre un maximum de près de 600 M€. Ce calcul avait été établi en prenant en compte pour chaque filière les objectifs fixés aux horizons 2018 et 2023 ainsi que le coût moyen de soutien du fonds chaleur en euros par tep pour chaque filière. L'ADEME estime cependant que la confirmation de la trajectoire carbone des taxes intérieures de consommation figurant dans la LTECV pourrait progressivement réduire d'un quart voire d'un tiers ces besoins financiers. Ses dernières estimations indiquent ainsi qu'un accroissement de 106 M€ par an en moyenne du fonds chaleur par rapport à son niveau en LFI pour 2017 (222 M€), sur les 5 prochaines années, portant l'enveloppe annuelle à 328 M€, permettrait d'atteindre les cibles de la PPE. Ces estimations ne prennent cependant pas en compte la récente annonce d'augmentation de cette trajectoire carbone dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2018.
Le montant d'AE retenu dans la LFI 2018 (200 M€) n'est pas suffisant pour satisfaire les besoins tels qu'évalués par l'ADEME pour atteindre les objectifs inscrits dans la PPE. Il est en régression par rapport aux montants octroyés ces dernières années pour le fonds chaleur154, et de 128 M€ inférieur au niveau nécessaire estimé par l'ADEME. Un pilotage fin des moyens alloués au fonds chaleur pour assurer leur cohérence avec les objectifs de développement des
EnR thermiques est donc nécessaire.
L'autoconsommation en ligne de mire
Ces évolutions s'inscrivent dans un contexte énergétique mondial très mouvant, dans lequel le coût des énergies renouvelables continue de baisser, tout comme celui de certaines énergies fossiles. Elles incluent par ailleurs de nouveaux modes de programmation énergétique, dans lesquels la production d'énergie décentralisée revient à l'ordre du jour, les frontières entre production et usages sont moins étanches, de même que les synergies entre secteurs de consommation. Le domaine du stockage de l'électricité illustre ainsi les nouvelles possibilités qui commencent à s'offrir à l'usager, de produire sa propre électricité, de l'auto-consommer dans son logement, puis de stocker le surplus d'énergie qu'il produirait en dehors de ses périodes de consommation habituelles.
La programmation énergétique peine aujourd'hui à intégrer toutes ces nouvelles dimensions. Elle parvient difficilement à se fonder sur une analyse réaliste des prix constatés pour la production d'énergie en France, dans la mesure où ceux-ci se forment sous l'effet conjoint de divers mécanismes tels que l'évolution des cours mondiaux des énergies fossiles, le fonctionnement du marché carbone européen, la libéralisation du marché de l'électricité, le maintien de certains tarifs régulés, le subventionnement des énergies renouvelables ou encore le provisionnement de charges futures de démantèlement. Elle doit par ailleurs appréhender le difficile arbitrage entre vecteurs énergétiques (électricité, gaz et chaleur), dont la pertinence se modifie en raison de l'émergence de nouveaux usages (développement des véhicules électriques ou au gaz par exemple), ainsi que de nouvelles perspectives de production.
Elle doit enfin effectuer le difficile choix des outils de régulation et d'orientation, qui peuvent combiner, avec des pondérations diverses, taxation (composante carbone des taxes intérieures de consommation), réglementation, subventionnement, et déductions fiscales. La complexité de l'exercice ne doit cependant pas conduire à renoncer à certains principes directeurs, garantissant rationalité économique et bon usage des deniers publics. Le présent rapport a cherché à rappeler un certain nombre de principes, en soulignant la manière dont la politique de soutien aux EnR s'en était parfois écartée ces dernières années.
Parmi les principes qui doivent guider la programmation énergétique, la Cour met en avant la nécessaire transparence des coûts et des prix de production (et donc des rentabilités associées au développement des projets), celle des volumes de soutien mobilisés pour développer certaines filières, l'explicitation des critères d'arbitrage entre filières à partir de cette connaissance, la mise en cohérence des arbitrages réalisés entre les différentes filières (notamment entre la filière nucléaire et les filières EnR électriques) et la clarification des ambitions industrielles.
Un nécessaire recentrage du crédit d'impôt transition énergétique
Le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) participe également à l'atteinte des objectifs de développement des EnR thermiques, en soutenant les ménages dans leur achat d'équipements énergétiques performants. Si le CITE représente l'une des principales dépenses fiscales de l'État, avec 1 670 M€ inscrits en LFI pour 2017, la part consacrée au soutien à l'achat d'équipements destinés à utiliser des EnR pour la chaleur et le froid s'élevait en 2016 à
260 M€, pour une augmentation de 0,15 Mtep par an de la production de chaleur.
Le taux unique du CITE ne lui permet pas d'atteindre pleinement son objectif : la mise en place d'un taux majoré pour certains équipements pourrait être étudiée, en fonction des technologies, du stade de développement des marchés, de critères de performances et de l'impact environnemental prenant en compte l'ensemble du cycle de vie de l'équipement. Au-delà de ces dispositifs, les réglementations thermiques des bâtiments représentent une forme de soutien indirect aux EnR thermiques. La réglementation thermique actuelle (RT 2012) ne favorise pas toujours l'intégration des EnR dans les logements. En raison d'une dérogation de cette réglementation pour les bâtiments collectifs, les nouveaux logements collectifs se chauffent en très grande majorité au gaz. La suppression de cette dérogation devrait être mise à l'étude, de même que la mise en place – dans la prochaine réglementation thermique – d'une obligation d'intégrer des EnR thermiques dans les bâtiments neufs, à l'instar de ce qui existe en Allemagne et dans l'esprit de ce que préconise le droit européen.
Un appel au Parlement
Les principes qui doivent guider la mise en œuvre des dispositifs permettant la traduction concrète de la programmation, reposent quant à eux sur la lisibilité et la simplicité, l'adéquation des moyens aux objectifs fixés (dont l'exemple du fonds chaleur illustre l'intérêt), l'adaptation des dispositifs aux meilleurs pratiques en termes de maîtrise des volumes de subvention accordés, etc.
Ces principes ne pourront être pleinement appliqués sans un cadre de gouvernance repensé. Le Parlement doit être mieux associé à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables (EnR) et des volumes financiers de soutien aux EnR. La définition de la programmation énergétique ne peut se faire que dans un cadre interministériel renforcé, sous l'égide du Premier ministre, apportant ainsi la légitimité nécessaire à la prise de décisions stratégiques et garantissant l'alignement des ministères dans leur mise en œuvre. Ce cadre renouvelé permettra également de mieux asseoir les critères de succès de la politique conduite et de clarifier les ambitions associées à sa mise en œuvre.
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