Sur la représentation graphique ci-dessus, figure en ordonnée la dépense annuelle en euro pour un consommateur individuel et en abscisse le taux d’autoproduction. On constate que si l’électricité solaire contribue à moins de 20% des besoins collectifs, le tarif d’utilisation du réseau est supérieur au tarif habituel.
Point de vue
Dura lex, sed lex. En démocratie, cette locution ne souffre d’aucune exception. Pourtant, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) ne se prive pas d’enfreindre la loi dans son calcul du TURPE autoconsommation collective qui pénalise financièrement les futurs utilisateurs de ce type d’énergie décentralisée. Une discrimination urgente à dénoncer qui remet en cause le principe même du timbre poste. Explications avec Nicolas Ott, administrateur d’Enerplan.
« Par son positionnement, la CRE pénalise le développement de l’autoconsommation collective. Elle semble défavorable, au travers de sa délibération sur le TURPE, à toutes formes de décentralisation de l’énergie pour continuer à prôner le modèle descendant centralisé. Elle est d’un autre siècle ». Cette critique signée de Nicolas Ott, administrateur du Syndicat Enerplan et par ailleurs directeur du développement de l’agrégateur BCM Energy est largement fondée. Elle s’appuie sur une analyse très précise et documentée du calcul du futur TURPE autoconsommation.
Un TURPE majorée de 15% pour l’ACC signe de discrimination
Que motive donc cette diatribe à destination de la CRE ? La démonstration qui va suivre demande un tantinet d’attention. Tout commence par la définition du TURPE, acronyme de Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité. Ce denier est fixé pour quatre ans et représente 95% des ressources du gestionnaire de réseau Enedis. Pour déterminer le TURPE, la CRE ouvre des consultations publiques. En 2017, le TURPE 5 a été établi à 13,5 milliards d’euros par an. Il a donc augmenté de 2,71% en moyenne le 1er août 2017. Au 1er août de chaque année, le tarif évolue sur deux points : l’inflation et les écarts constatés sur certains postes (climat, nombre de raccordements et régulation incitative). Le TURPE 5 prévoit en effet des tarifs différenciés, selon l’heure de la journée (heures pleines/heures creuses) et les saisons, afin d’accompagner la transition énergétique et d’inciter le consommateur à être plus vertueux, dans son profil de consommation, grâce à une maîtrise accrue de la demande, tant du point de vue du volume que du profil.
Remise en cause du principe du timbre poste
En fait, dans le cadre de l’autoconsommation collective (ACC), la CRE distingue les flux autoproduits (autoconsommés) et les flux alloproduits (soutirés du réseau). Le TURPE (composante de soutirage variable) appliqué aux flux autoproduits est en moyenne 30% moins élevé que le TURPE d’un consommateur classique (TURPE 5). Cette spécificité (indépendamment de l’analyse du niveau de la baisse) est en accord avec l’ordonnance n°2016-1019 qui impose à la CRE de définir un TURPE spécifique pour l’autoconsommation collective qui est définie légalement comme une opération « lorsque la fourniture d'électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d'une personne morale et dont les points de soutirage et d'injection sont situés sur une même antenne basse tension du réseau public de distribution » (Code de l’énergie, art. L315-3). La loi vise bien un TURPE spécifique pour l’électricité autoconsommée collectivement c’est-à-dire l’électricité allant d’un ou de plusieurs producteurs à un ou plusieurs consommateurs, et non toute l’électricité consommée par un consommateur. Elle ne vise pas a priori le complément de fourniture. En revanche, le TURPE appliqué aux flux alloproduits est quant à lui 15% plus élevé. Pour la CRE, il est pris en compte le fait que cette électricité ne viendra pas d’installation de productions locales photovoltaïque et donc on ne peut plus appliquer la logique du timbre-poste du TUPRE5 qui prend en compte l’impact de cette production locale. La distance compte. Ceci contrevient à la loi et aux principes directeurs de structuration du TURPE. Ce n’est pas anodin car le surcoût sur la part alloproduite n’est jamais compensé par le gain sur la part autoproduite, et ce tant que la part de la consommation couverte par la production locale (le taux d’autoproduction) n’atteint pas un certain seuil (près de 20% dans le cas considéré dans le graphe). On a là clairement un cas de rupture d’égalité inconcevable. Pour la CRE, il n’en est rien. Elle stipule qu’il est tout à fait normal de pénaliser un autoconsommateur collectif qui consomme à la marge de la production locale autrement dit, qui autoconsomme peu. Il s’agit là d’une nouvelle option tarifaire qui est, par exemple, du même ressort que d’inciter les consommateurs à consommer en heures creuses. « La comparaison est totalement erronée : dans l’exemple de la CRE, l’incitation vise à modifier le profil du consommateur pour le rendre moins contraignant pour le réseau. Jamais il n’est question de distance parcourue par l’électricité soutirée sur le réseau » précise Nicolas Ott. La CRE bafoue un principe universel, le principe du timbre-poste qui veut que le prix du transport de l’électricité venant du réseau est indépendant de la distance séparant le ou les points d’injection du ou des points de soutirage associés. C’est le fondement du modèle social français de l’énergie. Certes, le prix payé peut varier en fonction du profil, mais à profil identique entre un consommateur standard et le complément de fourniture d’un autoconsommateur collectif, et à option tarifaire identique pour ces deux profils, le prix payé doit être rigoureusement le même.
D’aucun pourrait justifier alors que le TURPE spécifique pour l’électricité autoconsommée bafoue également ce principe et est contraire à la loi. Ceci n’est pas vrai car (i) cette spécificité est bien prévue par la loi et (ii) la spécificité ne vise pas l’électricité alimentée de façon « standard » par le réseau au travers d’un contrat avec un fournisseur. De plus, ce TURPE pour l’électricité autoconsommée s’applique de la même façon pour tous les consommateurs s’inscrivant dans un projet d’autoconsommation collective quelque soit la distance entre les producteurs et les consommateurs de ce projet.
La CRE en contradiction avec les objectifs de la loi sur la transition énergétique
Toujours pour la CRE, il serait donc possible de choisir entre autoconsommation individuelle (ACI) pour laquelle l’électricité venant du réseau est soumise au TURPE 5 plus favorable et l’ACC affublée de son option tarifaire pénalisante pour l’électricité venant du réseau, de la même façon qu’il est possible de choisir entre des options tarifaires (BASE versus Heures Pleines/Heures Creuses). Deux poids, deux mesures entre les deux autoconsommations alors que le profil de consommation et la quantité d’électricité autoconsommée seraient identiques dans les deux cas. « La discrimination apparaît comme non justifiée sur le plan économique. La différenciation tarifaire est conçue pour engager les consommateurs à choisir et assumer l’option la plus vertueuse. Or, ACI et ACC sont toutes deux vertueuses. Ce n’est pas un motif de comparaison recevable. Et tout le monde n’a pas le choix entre ACI et ACC. Une question qui dépend du type d’habitat, collectif ou résidentiel individuel, alors que les options Base versus Heure Pleine / Heure Creuse, que la CRE utilise pour justifier cette discrimination, sont quant à elles accessibles à tous.
Par ailleurs, l’électricité venant du réseau pour l’ACI et l’ACC possède, toutes choses égales par ailleurs, exactement les mêmes caractéristiques. La CRE devrait donc lui appliquer la même tarification avec les mêmes options tarifaires pour respecter la non-discrimination imposée par la loi » ajoute Nicolas Ott. Mais la CRE se défend. Elle assure que la proposition de TURPE ACC est favorable pour 85% des autoconsommateurs collectifs. Mais quid des 15% restants et pourquoi les pénaliser ? « Le résultat de tout cela, c’est que la CRE ne respecte pas le principe de non-discrimination des consommateurs devant le TURPE. Tout se passe comme si la CRE voulait encourager l’ACI plutôt que l’ACC, et le fait de rester un consommateur classique si l’on ne peut pas faire de l’ACI.
En cela, elle prend une position politique. Ce n’est pas son rôle. La CRE ne tient pas compte des objectifs de politique énergétique porté par Nicolas Hulot favorables au développement de l’autoconsommation, quelle soit individuelle ou collective. Là encore, elle ne respecte pas la loi puisque celle-ci lui impose de tenir compte des orientations de politique énergétique » conclut Nicolas Ott. De plus, la CRE occulte un fait majeur. Elle n’établit pas le TURPE en fonction de la valeur économique qu’apporte l’ACC en termes de gestion locale de l’électricité, c’est-à-dire d’adéquation entre la production locale et la consommation locale. Si le TURPE5 prend en compte des injections locales, il ne prend pas en compte cette adéquation nouvelle propre à l’autoconsommation collective. Autant d’arguments qui dénote d’une volonté de la CRE ne pas voir éclore l’autoconsommation collective en France dans une posture idéologique assumée mais oh combien anachronique ! Et surtout hors de toute légalité…