Pour la dixième édition de la conférence Eurosun (16-18 septembre 2014 à Aix-les-Bains) qui a lieu rappelons-le, tous les deux ans, Philippe Papillon, ingénieur de recherche à l’INES-CEA, a réalisé une rétrospective 1996-2014 qui montre que, à l’instar du photovoltaïque mais dans une moindre mesure tout de même, l’évolution des coûts de l’énergie solaire thermique a été fortement orienté à la baisse lors de ces deux dernières décennies. Un facteur déterminant pour la compétitivité de cette énergie renouvelable qui a pourtant toutes les peines du monde à s’imposer en France ! Les raisons d’une telle désaffection vues par un Philippe Papillon un brin provocateur !
Plein Soleil : La perception que beaucoup de gens ont du solaire thermique est qu’il est cher. A travers votre rétrospective, vous tordez le coup à cette idée reçue. Expliquez-nous ?
Philippe Papillon : On nous dit sans cesse que le prix du solaire thermique doit baisser. Mais il baisse. Entre 1996 et 2014, le coût du solaire thermique a diminué d’environ 40% en euros constant. Ce n’est pas rien ! C’est encore plus intéressant lorsque l’on analyse l’évolution comparée des coûts en fonction de l’évolution des volumes de marché et qu’on le compare au solaire photovoltaïque pour lequel il ne fait aucun doute que les coûts ont chuté. Selon les learning curves (courbes d’apprentissage), tout procédé industriel qui voit sa production multipliée par dix voit son coût divisé par deux. Si l’on compare le marché mondial du PV et le marché européen du solaire thermique en termes de volumes par rapport aux prix de marché, on obtient une courbe similaire synonyme de baisse des prix d’environ 22% à chaque doublement de production. Sur la durée, la baisse de prix du solaire thermique est identique à celle du PV.
Le solaire thermique a vu ses coûts baisser à l’égal du PV
Plein Soleil : La conclusion de votre calcul est en effet surprenante. Autant pour le PV, cette baisse est tangible, autant pour le thermique, elle ne semble pas si évidente que cela. Pour quelles raisons ?
PP : N’oubliez-pas que le marché du photovoltaïque double très vite. Surtout ces dernières années où la baisse des coûts a dépassé le seuil des 22% de la courbe d’apprentissage … Le marché du solaire thermique a mis plusieurs années à passer en Europe de 1,5 à 3 millions de m². Noyée au cours de cette période plus longue dans la hausse du niveau de vie, la compétitivité du solaire thermique n’apparaît guère aussi évidente. En fait, avec le solaire thermique, nous sommes encore un tantinet dans un marché de niche, très loin en tous les cas d’un marché de masse. C’est aussi pour cela que nous n’arrivons pas à passer la vitesse supérieure. Il faut dire qu’après son apogée en 2008, le solaire thermique est retombé de son piédestal affecté par la crise des finances publiques qui a contribué à une baisse des subventions, mais aussi de nouvelles technologies dont on attendait monts et merveilles. Il s’agit là d’un élément d’explication. Mais pas que ! Le marché a surtout été plombé par des contre-référencements qui ont laissé des traces et impactent les discours des maîtres d’ouvrage comme par exemple les responsables d’Office HLM. D’aucuns nous disent que nous n’avons pas encore résolu les problématiques techniques des années 80, que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes et des investissements. En bref, que cela ne fonctionne pas très bien. Et puis, il faut le dire aussi, certains professionnels ont poussé le bouchon un peu loin en termes de facturation. Ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis. Des contre-références et des problèmes de maintenance
PS : On dirait que la filière n’a pas jamais pu se mettre au diapason d’un marché qui avait bien démarré avec le lancement du Plan Soleil. Qu’en est-il ?
PP : N’est-on pas allé trop vite en oubliant de laisser le temps à la filière de se structurer ? C’est une vraie question. Au début du Plan Soleil à l’aube des années 2000, le marché était multiplié par deux tous les ans. Les effets d’aubaine ont stimulé l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs sans scrupule, des opportunistes qui ont donné une mauvaise image du secteur. Avec à la clé les problèmes techniques et les contre-référencements dont on a parlé. Sur ces installations perfectibles, l’entretien et la maintenance finissent par représenter des coûts directs permanents très pénalisants. Je pense que l’on a tous failli, que l’on n’a pas été assez loin dans la garantie de performances. C’est même à se demander, comme je l’ai dit avec provocation à la tribune des Etats Généraux de la Chaleur Solaire, si l’on ne devrait pas arrêter le solaire thermique collectif ?
PS : Vous n’y allez pas par quatre chemins ?
PP : C’est volontairement provocateur, et je pense que cela serait catastrophique pour les industriels notamment, mais il est grand temps de se poser les bonnes questions, de régler les problèmes de structuration de la filière. Nous sommes confrontés à des problèmes d’ingénierie, d’installation et de maintenance. Une des raisons est la multitudes des acteurs qui crée une déresponsabilisation : les promoteurs construisent avec du solaire thermique essentiellement pour des raisons réglementaires. Celui qui en prend possession n’en a souvent que faire. Pour celui qui l’utilise, cet équipement est transparent noyé dans les biens collectifs de la copropriété. Vous avez là trois acteurs différenciés qui font finalement peu de cas de l’équipement solaire. Quelques offices HLM soucieux des charges des locataires qui ont une vraie mission de service public le font. Dans ces cas précis, il est indéniable que cela fonctionne mieux. Au travers de SOCOL, on peut constater également que les choses sont largement prises en main pour renforcer la qualité.
Celui qui investir doit être celui qui exploite
PS : En fait, vous déplorez le manque de suivi dans les installations ?
PP : C’est un fait. Le CESI optimisé façon colonne solaire très simple à installer en résidentiel est une bonne chose surtout lorsque le particulier garde un œil attentif sur son installation. Ca fonctionne. Idem avec les sociétés spécialistes des services énergétiques qui intègrent du solaire thermique dans les réseaux de chaleur. Quand celui qui investit est aussi celui qui exploite, il a alors tout intérêt à faire preuve de vigilance et à réaliser un suivi performant afin d’optimiser son TRI. Ces opérateurs disposent d’équipes d’astreinte qui réagissent à la moindre anomalie. Ils anticipent les appels de puissance sur le réseau. Ils sont performants.
PS : Comment fait-on alors aujourd’hui pour redonner de la confiance aux maîtres d’ouvrage ? Vous êtes dans la R&D, l’innovation pourrait-elle être une solution pour le solaire thermique ?
PP : Il ne faut pas attendre l’innovation technologique pour relancer le marché. Je crois que ce qu’il faut avant tout, c’est de l’innovation sur le plan de la communication. Vous vous rendez-compte, on parle aujourd’hui de CESI (Chauffe-Eau Solaire Individuel) optimisé. Cela veut dire qu’avant, il ne l’était pas…optimisé. Idem lorsque l’on évoque le Plan de Relance de la Compétitivité du solaire thermique. Est-ce à dire que cette énergie n’est pas compétitive ? Notre sémantique n’est pas bonne. Nous devons la faire évoluer.
PS : Au-delà des mots, voyez-vous d’autres leviers pour relancer la machine ?
PP : Certains signes me donnent tout de même bon espoir pour une relance du solaire thermique en 2016. Des discours globalement positifs circulent avec cette idée qui progresse et qui dit que l’on ne pourra pas se passer du solaire thermique. Le fonds chaleur a beaucoup misé sur la biomasse qui a aujourd’hui des soucis d’approvisionnement. De fait, le solaire redevient un allié incontournable et naturel de la biomasse qui est souvent à l’arrêt pendant l’été. La synergie est intéressante. Le concept de BePOS commence aussi à être bien ancré dans les professions du bâtiment et le solaire thermique y a son mot à dire, notamment lorsqu’il va falloir travailler sur la rénovation énergétique du patrimoine bâti existant. Et puis il faut dire aussi que le solaire thermique n’a pas profité, comme son cousin photovoltaïque de décision politique forte, apte à doper son développement. Là aussi, les choses peuvent changer avec des contextes réglementaires susceptibles d’évoluer. L’espoir demeure…, mais il va falloir réussir à passer cette période difficile, …