Trois GW déposés en
quelques semaines à peine auprès des services d’EDF OA ce qui représente trois
mille demandes par jour entre novembre et décembre 2009, des hangars agricoles
dits « virtuels » comme s’il en pleuvait, un budget annoncé par le
ministère, et contesté par les associations, de 56 milliard d’euros sur 20 ans,
la bulle spéculative sur le photovoltaïque raccordé réseau, a pris tout le
monde de court. En annonçant que les tarifs allaient baisser sans pour autant
légiférer, le gouvernement a laissé la porte ouverte à toutes les dérives, à
tous les opportunismes. Attentisme coupable ! L’imagination des
spéculateurs étant sans limite, le piège s’est refermé sur le gouvernement qui se
retrouve aujourd’hui avec un dossier épineux à gérer. Comment percer la
bulle ? Telle est la question.
Circulaire ou
pas ?
Pour l’heure, seul
un communiqué fait état de la période incriminée (1er novembre
2009-11 janvier 2010) en exigeant du maître d’ouvrage une demande de
raccordement au réseau public avant le 11 janvier 2010. Mais le gouvernement ne
peut s’appuyer sur un communiqué. Il a besoin d’un texte pour asseoir sa
position. Dans les couloirs du ministère, d’aucuns évoquent la sortie prochaine
d’une circulaire. Jocelyn Duval, avocat spécialisé dans les énergies
renouvelables du cabinet Kalliopé estime que la sortie d’une circulaire est
aujourd’hui nécessaire, ne serait-ce que pour une meilleure compréhension de
l’arrêté qui demeure plein de complexités absconses. « Maintenant, à
savoir si cette circulaire portera sur la rétroactivité, je n’en sais rien.
Quoiqu’il en soit, une circulaire ne saurait légalement procéder à une
application rétroactive de l’arrêté. En fait, sur ce dossier et sur cette
période, je ne vois pas vraiment le ministère sortir un texte » estime le
juriste. Alors quels sont les ressorts pour stopper l’hémorragie de MW ?
« Je ne vois que le rapport de forces avec les opérateurs en jouant sur
les refus d’instruction et en faisant pression sur EDF OA et ERDF »
poursuit Jocelyn Duval. Et cet interventionnisme sur les deux opérateurs a
d’ailleurs déjà connu un léger soubresaut. Comme une anticipation avant la
lettre remisée au placard dans les jours qui suivirent.
Drôle de volte face
dans l’agenda
Le 31 décembre
2009, EDF OA expliquait dans un communiqué :
« Depuis le 1 janvier 2010 il n'est plus nécessaire de
faire une demande de contrat d'achat auprès d'EDF Obligation d'Achat. Il suffit
de faire une demande de raccordement à ERDF. La date de dépôt du dossier
complet de raccordement détermine le tarif d'achat. Cette nouvelle démarche
découle du Grenelle de l'Environnement et vise à la simplification des
démarches pour les mandataires et producteurs.
• Les mandataires (ou producteurs) n'ont plus à envoyer de
formulaire de demande de contrat d'achat auprès d'EDF.
• Ils pourront (bientôt) consulter l'avancement de leur
dossier OA et mettre à jour leurs données sur www.edf-oasolaire.fr
• C'est la date de dossier complet (chez ERDF) qui tient
lieu désormais de date de demande de contrat d'achat auprès de OA, et donc fixe
donc le tarif de base.
• EDF transmettra spontanément un contrat d'achat pré rempli
au producteur après la mise en service ».
Dès le début
janvier 2010 une nouvelle information venait infirmer la préconisation
ci-dessus citée :
« La publication d’un nouvel arrêté tarifaire
concernant la filière photovoltaïque étant attendue nous vous avions informé le
31 décembre 2009 de la mise en place à partir du 1er janvier
2010 d’une procédure de collecte des demandes de contrat d’achat simplifiée. A
ce jour l’arrêté tarifaire n’a pas été publié.
Aussi la procédure simplifiée ne peut légitimement être mise en œuvre
pour le moment. Dans ce contexte, les
demandes de contrat, doivent être, aujourd’hui comme en 2009, adressées par
courrier RAR à l’agence obligation d’achat Solaire à l’aide du formulaire
joint (formulaire .pdf modifiable avec bulles d’aide). Les demandes expédiées à
compter du 1er janvier bénéficieront du tarif 2010 résultant de
l’application de l’arrêté du 10 juillet 2006. Soit 31,502 centimes d’euro/kWh
pour les dispositifs non intégrés et 57,754 centimes d’euro/kWh pour les
dispositifs intégrés au bâti , sous réserve d’être complètes (y joindre les éléments
relatif à l’urbanisme) et conformes à l’arrêté. L’absence de numéro de
CRAE pour les demandes inférieures ou égales à 36kVA est de nouveau un motif de
retour. Par ailleurs, nous vous informons que l’affluence des demandes de
contrat reçues en fin d’année risque d’allonger sensiblement les durées de
traitement ». Voilà ce que l’on appelle une jolie volte-face et corrobore
l’idée d’une certaine forme de manipulation afin d’entériner au plus vite
l’engagement d’ERDF dans les demandes contractuelles. Même sur celle émanant de
l’arrêté du 10 juillet 2006. Ce à quoi François Hénimann, directeur national
des raccordements ERDF ne souscrit guère.
Un jeu de rapports de force
Mais finalement que va-t-il se passer pour les
opérateurs ? Surtout si aucun texte ne vient appuyer la nouvelle volonté
gouvernementale. Faisons un brin de prospective ! Les opérateurs qui ont
envoyé une demande de contrat d’achat sans signer la Proposition Technique et
Financière (PTF), désormais appelée demande de raccordement, pourraient recevoir
un courrier du type : « Nous n’accusons pas réception de votre
demande par absence de demande de raccordement dûment signé par vos soins. Vous
devez à présent reformuler une demande de raccordement qui sera directement
envoyée aux services d’EDF OA avec un contrat soumis aux tarifs en vigueur
dans l’arrêté du 12 janvier 2010 ». Autant pour les projets sur des bâtiments
existants, le gap entre les 60 centimes d’euros et les 50 centimes, encore
généreusement octroyés pendant un an avec les systèmes d’intégration actuels,
pourra être comblé par la baisse du prix des modules avec un TRI (Taux de
Rentabilité Interne) certes moins favorable mais non rédhibitoire. Autant pour
les projets sur des bâtiments neufs, les 42 centimes font plomber les business
modèles. Tel est aussi le but de cette opération de sauvetage de la CSPE. Reste
que certains maîtres d’ouvrage, en pleine phase de construction d’un bâtiment
neuf non virtuels, risquent d’avoir un goût amer dans la bouche. Alors jusqu’où
les opérateurs pourraient-ils aller pour défendre leurs droits ? Qui
osera contester ? Un recours jusqu’au Conseil d’Etat est-il
envisageable ? « Si certains se sentent capables d’entrer dans le
rapport de force, il est fort probable que des recours aient lieu. On pourrait
également imaginer des examens de projets au cas par cas en fonction de
l’avancement des projets qui posent problème. Mais comment distinguer les
projets dits spéculatifs des autres projets avec certitude sans porter atteinte
à l’égalité de traitement et partant sans risquer des recours ? Nous
sommes un peu dans une impasse » estime Jocelyn Duval.
La menace d’une
suspension de l’arrêté du 12 janvier 2010
Et si
des recours étaient menés en masse. Le ministère a tout prévu jusqu’à brandir
la menace de suspendre l’arrêté du 12 janvier 2010. Comment ? C’est assez
simple L’obligation d’achat est due tant que la puissance des projets
réellement raccordés n’atteint pas les limites fixées par la Programmation
Pluriannuelle des Investissements (PPI). L’arrêté
du 15 décembre 2009 relatif à la programmation pluriannuelle des
investissements de production d’électricité publié le 10 janvier dernier au
Journal Officiel fixe une première étape qui s’élève à 1100 MW à fin 2012.
Lorsque la PPI est dépassé, l’Etat est fondé d’abroger l’arrêté s’il le désire.
La PPI, comme une épée de Damoclès, comme un dernier recours pour peser sur les
spéculateurs indélicats mais aussi sur toute une filière en plein doute qui a
l’impression d’avoir été spoliée de quelque chose. De nombreux acteurs
témoignent aujourd’hui d’une forme d’injustice, d’un sentiment de brutalité
dans la prise de décision du gouvernement dont la méthode est, on ne peut plus,
contestable. D’aucuns évoquent déjà des licenciements massifs dans les PME du
secteur. Des réactions épidermiques parfois un peu exagérées. Mais tout de
même, la confiance est écornée. Et ceci sans jamais remettre en cause le nouvel
arrêté qui est jugé assez équilibré par la plupart des vrais professionnels du
secteur, exception faite de l’absence de tarif intégré sur les bâtiments neufs.
Le bâtiment neuf : le nœud gordien de cette affaire de spéculation !
Celui qu’on tranche de manière violente en revisitant le passé sans y être
invité !