George Husni, analyste chez LCP Delta
Les objectifs climatiques fixés par l’Union Européenne se rapprochent et les États accélèrent de plus en plus leur position sur la transition énergétique mais à des rythmes variables. LCP Delta, cabinet de conseil et de recherche spécialisé dans la transition énergétique, dresse un nouvel état des lieux de la transition énergétique en Europe. Entre électrification massive et la montée en puissance de la flexibilité…Comment la France peut-elle renforcer sa prééminence sur le marché européen de la transition énergétique ?
Après des années de pilotage centralisé, où les incitations publiques donnaient le tempo (CITE, ARENH, S21…), la France entre désormais dans une phase où le marché, les acteurs privés et l’innovation prennent le relais. La transition devient un sport d’équipe.
La capacité à créer des modèles intégrés, à embarquer le client et à capter la valeur de la flexibilité devient un avantage compétitif décisif. La France avance vite, et parfois de manière inattendue. Entre signaux favorables, promesses industrielles et retards persistants, elle cristallise aujourd’hui plusieurs tensions clés de la transition énergétique européenne.
Une électrification à grande vitesse…mais déséquilibrée
Avec plus d’un million de logements électrifiés chaque année, la France se distingue parmi les trois pays européens les plus avancés sur l’électrification des usages résidentiels, aux côtés de l’Allemagne et le Royaume-Uni. Une électrification concernant à la fois le chauffage, le solaire résidentiel, les véhicules électriques mais aussi le stockage domestique. Selon l’étude de LCP Delta, cet élan reste fragile, et le système d’électrification en France connaît certaines contraintes :
- La pénétration du stockage résidentiel est encore marginale (<1%),
- Les offres d’électricité restent souvent silotées : peu d’offres de « packs » intégrés combinant équipement, financement et optimisation
- L’adoption est encore concentrée sur les ménages les plus engagés.
« Pour accélérer, la transition doit être simple, intégrée et désirable : électrification, tarif intelligent, pilotage et service client sont les nouveaux standards que le marché attend » observe George Husni, analyste chez LCP Delta.
Flexibilité : la nouvelle bataille stratégique de la transition
Selon l’étude de LCP Delta, d’ici 2030, l’Europe devrait compter plus de 90 GW de capacités de flexibilité activables côté demande (DSF), contre 41 GW pour les batteries stationnaires (BESS). Des chiffres venant confirmer un mouvement de fond. En effet, la flexibilité du côté de la demande (pilotage intelligent des consommations, autoconsommation optimisée etc.) émerge et est en route pour devenir un pilier du système énergétique. Et en France, cette bascule est déjà tangible :
- Les actifs sont de plus en plus connectés (PAC, VE, PV, batteries domestiques),
- Les tarifs deviennent semi-dynamiques (Nouveau dispositif des HP/HC),
- L’arrêt de l’ARENH et la hausse attendue des prix renforcent les signaux marché,
- Et des politiques comme le décret S21 encouragent une consommation plus locale, plus pilotable.
La flexibilité implicite (adaptation aux signaux prix, autoconsommation) progresse à grande vitesse. Mais la flexibilité explicite, via des modèles d’agrégation ou des services système, avance aussi. Et la France possède un écosystème particulièrement unique en Europe, avec des pionniers comme Voltalis, Equans, MyLight, RTE, etc. « La flexibilité n’est plus une technologie, mais une compétence : elle ne prendra tout son sens que si les utilisateurs finaux jouent le jeu, adaptent leur consommation et font confiance aux nouveaux modèles. Ceux qui sauront l’intégrer dans leur offre prendront une longueur d’avance. » ajoute George Husni, analyste chez LCP Delta.
Le vrai défi : faire basculer les consommateurs dans la transition
Le rapport de LCP Delta met en lumière un constat préoccupant : En France, seulement 9 % des consommateurs se montrent activement impliqués dans la transition énergétique. Parallèlement, 45 % d’entre eux demeurent totalement indifférents à cette question cruciale. Selon George Husni, pour faire basculer le marché, il faut segmenter et adapter :
- Les suiveurs (30 %) : rassurer, simplifier et leur garantir la valeur,
- Les prudents (16 %) : proposer des offres ultra-encadrées et subventionnées,
- Les indifférents (45 %) : créer des mécanismes où la transition devient le choix par défaut
Par rapport à d’autres pays européens, la France a un avantage. Les consommateurs y changent plus facilement de fournisseur d’énergie, ce qui représente un levier de compétition et d’innovation mais qui peut être aussi une source de pression pour les fournisseurs historiques. « La transition énergétique est aujourd’hui entrée dans sa phase “système” : ce n’est plus une affaire de technologie, mais de cohérence, de positionnement stratégique et de timing. La France dispose des atouts pour rester dans la course, voire prendre l’avantage à condition d’investir sur les bons leviers (flexibilité, massification de l’électrification, activation des utilisateurs) et de ne pas manquer le virage de la demande. » déclare George Husni. La transition énergétique européenne entre dans une phase complexe où la régulation, la flexibilité, la coordination des marchés et la modernisation des réseaux sont cruciales. La France a des atouts pour rester parmi les leaders, mais doit accélérer le déploiement de batteries, la valorisation de la flexibilité et l’intégration de l’hydrogène.